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Inondations: planifier le retrait de quartiers exposés aux inondations

Apprenez comment les collectivités peuvent s’adapter aux risques liés aux inondations et inspirez-vous de projets concrets de retrait planifié de quartiers exposés.

Démolitions à Grand Forks. Source: Les Johnson.

L’urbanisation du Québec s’est largement effectuée à proximité des cours d’eau, conduisant à une forte occupation des plaines inondables. En conséquence, de nombreux milieux bâtis sont exposés aux inondations à des degrés divers. Dans un contexte de changements climatiques, la pérennité de ces secteurs devient de plus en plus incertaine. Pour faire face à ces défis, deux principales stratégies d’aménagement émergent en fonction du niveau de risque. Dans les zones où le risque est particulièrement fort, il peut être judicieux d’envisager le retrait de bâtiments et la relocalisation des personnes et des activités vers des secteurs moins exposés pour redonner davantage d’espace à l’eau. Dans les zones où le risque est plus acceptable, il peut être envisageable de concevoir ou de réaménager les milieux de vie afin de les rendre plus résilients face aux inondations.

Pourquoi s’intéresser au retrait de quartiers exposés?

Dans la foulée des inondations printanières de 2017, 2019 et 2023 au Québec, des centaines de bâtiments abritant des activités résidentielles, commerciales, institutionnelles ou encore industrielles ont été démolis dans le but de réduire la vulnérabilité des personnes et des biens aux inondations. Ces décisions ont toutefois été prises à l’échelle de chaque propriété, sans vision d’ensemble des transformations des milieux de vie. Pour cette raison, plusieurs impacts des démolitions n’ont pas été pris en compte et la relocalisation des personnes et organisations touchées n’a pas fait l’objet d’une planification.  

Pourtant, plusieurs véritables démarches de retrait planifié de quartiers en raison d'un risque élevé d’inondation ont été menées ailleurs dans le monde. Cet article expose des éléments à considérer dans un tel processus pour outiller les collectivités québécoises qui envisagent cette approche pour des quartiers situés dans des secteurs où le niveau de risque est considéré incompatible avec la présence d’un milieu bâti. Les exemples mentionnés dans l’article sont détaillés dans le répertoire de cas inspirants de milieux de vie résilients face aux inondations développé par Vivre en Ville.

Six éléments clés pour planifier le retrait d’un quartier en zone inondable

Bien que chaque contexte soit différent, le succès du retrait d’un quartier dépend de la prise en compte de plusieurs éléments permettant de maximiser les retombées sociales, économiques et environnementales. En effet, une telle intervention ne répond pas uniquement à la menace des inondations, mais offre également une opportunité de repenser l’organisation des territoires de manière durable. Pour la saisir, les aspects suivants sont donc à considérer dans la planification de ce genre d’opération: 

  • Un site de relocalisation optimal: Une démarche complète de retrait d’un quartier inclut la planification de la relocalisation des activités qui s’y trouvent. Le choix du ou des sites de relocalisation peut permettre de préserver les liens sociaux et économiques des communautés avec le site initial. Idéalement, ces sites se trouvent à proximité du secteur initial dans la même municipalité. Une relocalisation durable implique la consolidation d’un quartier existant ou la requalification de terrains déjà artificialisés pour éviter la perte de milieux naturels ou agricoles.

  • La valorisation des secteurs devenus vacants: Les sites libérés peuvent poser des défis à la municipalité, notamment en raison de la perte de valeur foncière et de l’entretien des infrastructures sous-utilisées. Cependant, les terrains libérés représentent aussi une opportunité. Leur reconversion en espaces multifonctionnels peut non seulement favoriser une régénération écologique, mais aussi renforcer l’attractivité du territoire, générant ainsi des bénéfices économiques à long terme grâce à de nouvelles activités récréatives, culturelles ou économiques.

  • La planification du retrait et la gestion des acquisitions: Le retrait peut s’effectuer soit sur une base volontaire - par des acquisitions à l’amiable entre les propriétaires, la municipalité ou le gouvernement - soit par le recours à l’expropriation imposant le départ des résidentes et des résidents. Toutefois, pour que le maintien de certains ménages ne compromette pas l’atteinte des objectifs poursuivis par les autorités publiques, le retrait du quartier doit faire l’objet d’un plan définissant clairement les zones devant être entièrement libérées. Ce processus doit être mené de façon transparente et équitable, avec des délais raisonnables et des approches flexibles adaptées aux besoins des propriétaires.

  • Des compensations suffisantes et équitables: La compensation financière doit permettre aux personnes, entreprises, institutions ou organisations, qu’elles soient propriétaires ou locataires, de retrouver des conditions de vie équivalentes ou meilleures. Le but étant d'éviter de créer des inégalités, notamment pour les locataires qui sont plus à risque d’avoir de la difficulté à se reloger.

  • L’implication citoyenne: Bien que guidée par des personnes compétentes, la relocalisation doit impliquer activement les communautés touchées. En intégrant la population dans la conception des sites de relocalisation et dans le devenir des zones libérées, les environnements créés répondent mieux aux besoins tout en favorisant l’adhésion sociale au projet.

  • La préservation du patrimoine et de la mémoire collective: La préservation de l’identité locale est essentielle pour maintenir le sentiment d’appartenance des communautés déplacées. Cela peut inclure la relocalisation de bâtiments historiques ou de marqueurs culturels, ou encore l’installation de marqueurs de crue dans les secteurs ayant subi des démolitions pour cultiver la mémoire du lieu et des événements d’inondations.

Ces six éléments servent de guide pour les études de cas présentées ci-dessous. Leur prise en compte est cruciale, tant pour garantir l’adhésion de la population que pour favoriser le développement de milieux de vie durables.

Cas inspirants d’intégration des éléments clés pour un retrait planifié réussi

Le répertoire de cas inspirants Résilience face aux inondations de Vivre en Ville recense divers exemples de collectivités engagées dans la transformation de leurs milieux de vie exposés aux inondations. Cet article présente quatre études de cas internationales pour inspirer les collectivités québécoises qui envisagent la relocalisation d’activités à l’extérieur de la zone inondable.  

Cas de Valmeyer, Illinois, États-Unis

Source: Vivre en Ville, d’après le Guardian.

Valmeyer, un village de l’Illinois situé à l’embouchure du lac Moredock et à cinq kilomètres du fleuve Mississippi, a connu une inondation dévastatrice en 1993. La rupture d’une digue a causé des dégâts majeurs, endommageant plus de 90% des bâtiments et forçant les 900 habitants à envisager une relocalisation.

  • Une localisation optimale: Le nouveau village de Valmeyer a été établi sur une parcelle agricole de 202 hectares, anciennement dédiée à la culture du maïs et à l’exploitation forestière. Située à seulement 1,5 kilomètre de l’emplacement d’origine, mais perchée à 120 mètres de hauteur sur une falaise, cette parcelle a été offerte par un agriculteur, permettant à la communauté de rester proche de ses racines et de maintenir ses liens sociaux et économiques. Le choix du site, bien que regrettable en raison de la perte des terres agricoles, a été en partie compensé par la reconversion de l’ancien village en zones cultivables, atténuant ainsi l’impact global de cette décision.

  • La valorisation des secteurs devenus vacants: Sur le site initial du village, la majorité des bâtiments et des infrastructures, excepté les routes, ont été démantelés. Tandis qu’une douzaine de familles ont choisi de rester dans leurs maisons, les autres parcelles ont été converties en terres agricoles, principalement pour la culture du maïs et du soja, offrant ainsi une nouvelle fonction productive à ces espaces.

  • La planification du retrait et la gestion des acquisitions: Le processus de relocalisation a permis à environ 700 des 900 résidents de s’établir dans le nouveau village. Toutefois, 27 ménages ont choisi de rester en zone inondable, tandis que d’autres ont déménagé dans une autre ville. Toutes les structures résidentielles, commerciales et religieuses ont pu être déplacées, à l’exception des bâtiments municipaux. Le processus s’est achevé en quatre ans, bien plus rapidement que prévu. Cette efficacité a reposé sur une coordination étroite entre les autorités locales et fédérales, ainsi que sur une forte mobilisation de la part de la population au projet de relocalisation.

  • Des compensations suffisantes et équitables: Au début de la démarche, de nombreuses personnes de Valmeyer n’étaient pas admissibles aux rachats via le National Flood Insurance Program (NFIP), faute d’assurance contre les inondations. Les autorités fédérales ont donc ajusté les critères pour inclure davantage de propriétés, protégeant ainsi l’assiette fiscale nécessaire aux services municipaux et facilitant la relocalisation. Grâce au programme de rachat de la Federal Emergency Management Agency (FEMA), les propriétaires ont reçu une compensation à la hauteur de la valeur marchande de leurs propriétés avant l’inondation. 

  • L’implication citoyenne: À chaque étape du processus de relocalisation, la population de Valmeyer a joué un rôle central. Le point de départ fut un vote décisif, organisé dans le gymnase du village, où la majorité des habitants se sont exprimés en faveur du plan de relocalisation communautaire. À partir de cet engagement collectif, sept comités de citoyen ont été formés pour travailler étroitement avec des personnes expertes pour concevoir les plans préliminaires de leur futur village. Le maire de l’époque a su faire preuve d’un fort leadership, accélérant les démarches administratives et sécurisant les financements indispensables. La détermination des citoyennes et des citoyens s’est également manifestée par des sacrifices personnels: beaucoup ont puisé dans leurs économies pour verser des acomptes sur les terrains destinés à leurs nouvelles maisons. Ce geste a permis à la communauté d’acquérir les parcelles nécessaires pour donner vie au nouveau Valmeyer.

  • La préservation du patrimoine et de la mémoire collective:  La relocalisation du village de Valmeyer a soulevé d’importants enjeux de préservation du patrimoine physique et culturel, ce qui a conduit à la création de la Valmeyer Community Heritage Society. Cette initiative vise à sauvegarder l'histoire du village d'origine. Parmi ses réalisations, l'ancienne Monroe City School (construite en 1918) a été déplacée dans le nouveau Valmeyer et transformée en musée, désormais connu sous le nom de Valmeyer Community Heritage Society Museum, offrant un espace pour honorer la mémoire collective. Aujourd'hui, l'association organise des événements pour renforcer le tissu social et raviver l’identité locale. Par ailleurs, des panneaux éducatifs installés sur le site de l’ancien village, notamment à l’emplacement de la rue principale et du parc Borsch, rappellent ce qui s’y trouvait autrefois, permettant ainsi de maintenir vivante l’histoire de Valmeyer dans les esprits.

Cas de Grand Forks, Colombie-Britannique, Canada

Source: Vivre en Ville, d’après Radio-Canada.

Grand Forks, d’une population de plus de 4 100 personnes, est située à la confluence des rivières Kettle et Granby, au sud de la Colombie-Britannique. En 2018, la ville a connu une crue bicentennale ayant causé l’équivalent de 50 millions de dollars de dégâts et endommageant 450 maisons, dont une cinquantaine ont été détruites. Les ouvrages de protection existants, principalement des digues et des sacs de sable, n’ont pas tenu le coup. À la suite de cet événement, la Ville a élaboré le Flood Mitigation Program visant à réduire la vulnérabilité du territoire face aux inondations. En plus du renforcement des infrastructures grises ceinturant le centre-ville et l’aménagement d’infrastructures naturelles, le plan prévoyait le rachat de 130 propriétés situées dans quatre secteurs de la ville, dont le quartier North Ruckle abritant la communauté la plus défavorisée. 

  • Une localisation optimale: Adopté en 2022, le Official Community Plan (OCP) a guidé le choix de la relocalisation des résidences démolies. Ce document recense les actifs naturels et les plaines inondables et impose à chaque nouveau développement une évaluation des conditions environnementales, des risques naturels et des contraintes d’aménagement. Dans le cadre de la relocalisation des ménages, les services municipaux peuvent orienter les citoyens vers les sites les plus adaptés à la construction, et les promoteurs évitent de développer dans des zones sensibles, comme les milieux humides. Cette approche favorise la densification des secteurs bâtis situés hors des zones inondables. Plusieurs résidences ont été relocalisées au nord de la ville sur Donaldson Drive et McCallum View Drive. 

  • La valorisation des secteurs devenus vacants: L’ensemble de l'ancien quartier North Ruckle a été restauré en 40 hectares de plaine inondable. Il joue aujourd’hui le rôle de zone tampon accueillant les débordements de la rivière. L’ensemble des infrastructures souterraines a été retiré, laissant place à un parc naturel incluant des milieux humides, des boisés, des sentiers pédestres et cyclables. Les berges ont été restaurées au moyen d’un enrochement naturel accompagné de la plantation de végétaux le long des rives. 

  • La planification du retrait et la gestion des acquisitions: Entre 2019 et 2020, la Ville a rencontré les propriétaires ciblés par le programme pour les informer de l’opération de rachat et leur soumettre des offres via le Land Acquisition Program, financé par le gouvernement fédéral grâce au Disaster Mitigation and Adaptation Fund (DMAF). Ce processus a permis à 63 des 70 propriétaires de signer un accord volontaire. Même après la conclusion de l’offre de rachat, les propriétaires ont pu demeurer temporairement dans leur logement. Cependant, les derniers réfractaires ont dû être expropriés. Une fois les terrains rachetés, la Ville a mis 48 résidences aux enchères afin que des investisseurs puissent les acquérir et les déplacer vers d’autres secteurs de la ville. Après avoir été réparées et placées sur de nouvelles fondations, ces maisons ont été mises en vente sur le marché. Dix d’entre elles ont été relocalisées dans la réserve autochtone d’Osoyoos, grâce à un partenariat de développement avec la Ville, permettant la création d’un nouveau lotissement à l’ouest de la ville.

  • Des compensations suffisantes et équitables: Le montant de compensation financière, basé sur la valeur des propriétés après les inondations, a soulevé de nombreuses contestations de la population, qui jugeait cette méthode injuste. Pour répondre à ces préoccupations, la Ville de Grand Forks a mis en place un montant additionnel de compensation fondé sur sept critères, incluant notamment les frais de transport, les frais de relocalisation et une allocation pour les honoraires professionnels. 

  • L’implication citoyenne: Bien que les propriétaires n’aient pas été pleinement impliqués dans les décisions relatives au processus de retrait planifié, leur participation a été essentielle lors de l’élaboration et de la mise en œuvre du programme d’acquisition. Dès le début, des rencontres individuelles ont permis de recueillir leurs préoccupations et d’assurer qu’ils étaient au centre des discussions concernant les modalités de rachat. Des groupes de travail ont été constitués pour examiner les approches proposées et fournir des avis sur le processus et les offres. Grâce à cette approche, 97% des propriétaires concernés ont accepté un rachat volontaire, atteignant ainsi un objectif clé tout en minimisant les tensions sociales.

La préservation du patrimoine et de la mémoire collective: éxcepté des marqueurs de crues qui ont été installés en mémoire des inondations passées, cet aspect a été peu intégré à la réflexion. Un citoyen, préoccupé par le manque de considération vis-à-vis de cet enjeu, a décidé de compiler lui-même une archive numérique de North Ruckle dans le but de préserver l’histoire du quartier ravagé par les inondations.

Cas de Nimègue, Pays-Bas

Source: Vivre en Ville.

Nimègue, abritant une population de 170 000 personnes, est traversée par le fleuve Waal, le principal bras du Rhin (Rijn). À l’est de la ville, la rivière se rétrécit brusquement engendrant un goulot d’étranglement qui a souvent causé des inondations dans le centre-ville. La dernière inondation majeure, datant de janvier 1995, a failli provoquer la rupture des digues protégeant la ville. Des dizaines de milliers de personnes ont été contraintes d’évacuer leur résidence. À la suite de cet événement, le gouvernement néerlandais a révisé sa politique de gestion des risques liés aux inondations. C’est dans ce contexte qu’a été lancé en 2006 le programme Room for the River visant à restaurer les plaines inondables de plusieurs cours d’eau majeurs pour accueillir les crues et protéger les milieux bâtis. Nimègue a été identifié comme un site stratégique pour le déploiement du programme. Le projet Room for the Waal, qui s’est étendu de 2012 à 2016, a représenté le projet le plus important et le plus coûteux du programme national.  

  • Une localisation optimale: Les opérations déployées ont servi de catalyseur au redéveloppement des quartiers de part et d’autre de la rivière, notamment du quartier Waalsprong au nord du fleuve, face au centre-ville. Près de 11 500 mètres carrés de surfaces commerciales et de 450 logements y seront construits. À l’échelle de la ville, ce sont près de 5 000 nouveaux logements qui sont prévus dans les prochaines années.

Quartier résidentiel de Lent accueillant les nouvelles résidences (Nimègue). Source: Vivre en Ville.

  • La valorisation des secteurs devenus vacants: L’ouverture du nouveau bras de la rivière Waal a permis la création d’une nouvelle île fluviale accueillant dorénavant un parc urbain de 120 hectares, le Rivierpark, librement accessible et intégrant des éléments archéologiques et historiques dans sa conception. Ce parc est maintenant utilisé pour des activités récréatives et des événements culturels ou sportifs.

Infrastructures flottantes pour la pratique d’activités nautiques sur le Spiegelwaal à Nijmegen (Nimègue). Source: Vivre en Ville.

L’île créée par la création du nouveau canal (le Spiegelwaal) offre un parc unique en milieu urbain à Nimègue. Source: Vivre en Ville.

  • La planification du retrait et la gestion des acquisitions: Au total, le projet a nécessité la démolition de 50 maisons ainsi que plusieurs locaux accueillant des bureaux. Après un long processus de négociations, les ménages ont quitté le secteur en contrepartie d’une compensation financière ou d’un terrain selon leur besoin.
  • L’implication citoyenne: Plusieurs réunions d’information ainsi que des ateliers participatifs ont été organisés, permettant au public de faire part de ses avis et préoccupations. Ces dernières concernaient surtout la crainte de dévalorisation du front d’eau et la perte de patrimoine historique liée à la démolition des bâtiments. Un référendum a été organisé afin de décider du devenir de l’île. Au regret de la Ville, la population a décidé de ne pas implanter de nouveaux logements sur celle-ci afin de préserver les espaces naturels et de loisirs nouvellement créés. 
  • La préservation du patrimoine et de la mémoire collective: La zone concernée par le projet abritait de nombreux vestiges historiques, témoins du passé de Nimègue et de son rapport au fleuve. Un groupe de travail composé d’habitants et d’historiens a ainsi été formé pour s’assurer de l’intégration de ces éléments patrimoniaux dans l’aménagement du site. Parmi eux, l’ancien débarcadère des ferries, des bunkers de la Seconde Guerre mondiale et des barrages routiers ont été préservés. L’un des vestiges les plus marquants est le fort Knodsenburg, édifié à la fin du XVIe siècle lors de la guerre de Quatre-Vingts Ans. Abandonné puis démoli au XIXe siècle, ses ruines ont ressurgi entre 2012 et 2015 lors des travaux d’aménagement. Des éléments comme les piliers du pont-levis et les fondations de la porte d’entrée ont été mis au jour et réintégrés sur leur emplacement d’origine. Pour valoriser la mémoire du passé militaire de la ville, les contours du fort ont été matérialisés, et un canon a été installé sur le site.

Cas de La Bouillie, Blois, France

Source: Vivre en Ville.

Le déversoir de la Bouillie a été aménagé au 18e siècle pour protéger Blois des inondations en déviant une partie des eaux de la Loire en période de crue. La capacité hydraulique du déversoir a toutefois été réduite de 80% à la suite de son urbanisation après 1945. Classé en secteur d’aléa fort par le Plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) de 1999, ce quartier non protégé comptait plus de 150 habitations. Face à ce risque élevé, la Communauté d’agglomération de Blois a décidé de retirer le quartier vulnérable et de transformer le site en parc polyvalent.

  • Une localisation optimale: La relocalisation des ménages du quartier de la Bouillie n’a pas été planifiée, ce qui constitue un écueil du projet. Une aide a été offerte pour permettre aux résidents de retrouver un logement, mais aucun secteur précis n’a été identifié pour accueillir l’ensemble des déplacés. Les populations les plus modestes se sont majoritairement dirigées vers la Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) Nord de Blois, un retour parfois perçu comme un recul pour celles qui avaient quitté ce secteur pour accéder à la propriété. D’autres ménages, disposant de moyens financiers légèrement supérieurs, ont opté pour des espaces périurbains plus éloignés. Cette dispersion géographique reflète une relocalisation loin d’être optimale, notamment pour les populations les plus vulnérables.

  • La valorisation des secteurs devenus vacants: La transformation du site de La Bouillie vise à restaurer sa fonction initiale de zone d’expansion des crues, tout en créant un grand parc multifonctionnel alliant espaces naturels, agricoles et récréatifs. Les aménagements seront réalisés de manière sobre, limitant l’artificialisation des sols pour préserver la biodiversité, et progresseront par étapes, permettant d’adapter la conception selon l’usage et l’appropriation par la population. Un premier tronçon de voie verte partagée pour la marche et le vélo  a vu le jour en 2024. Le projet prévoit également des sentiers pour les mobilités actives, la valorisation des zones naturelles du site (boisés, prairies, zones humides), des activités agricoles (verger public, jardins partagés), ainsi que des espaces récréatifs (aires de jeux, espaces de repos, prairies multifonctionnelles). 

  • La planification du retrait et la gestion des acquisitions: En 2003, Agglopolys, la Communauté d’agglomération de Blois, a lancé une opération d’acquisition foncière et de démolition dans le secteur de La Bouillie, en instaurant une zone d’aménagement différé (ZAD) pour une durée de 14 ans. Cet outil a permis à la collectivité d’exercer un droit de préemption, facilitant ainsi l’acquisition à l’amiable d’environ 140 résidences et locaux commerciaux. En 2021, 132 bâtiments avaient été acquis, dont 128 démolis, impactant près de 400 résidentes et résidents, souvent âgés ou en situation socio-économique précaire. Si les premières acquisitions, principalement des propriétés de valeur, ont été menées avec succès, le processus s’est ralenti à partir de 2007 avec les biens de moindre valeur. La crise immobilière a également compliqué le relogement des habitantes et habitants, prolongeant certaines négociations.

  • Des compensations suffisantes et équitables: La valeur des biens immobiliers a été déterminée sur la base de l’évaluation des Domaines (équivalent du Service de l’évaluation foncière au Québec), avec une bonification de 5% pour tenir compte de l’inflation. Face aux difficultés de relogement rencontrées par les ménages les plus vulnérables, Agglopolys a mobilisé ses services sociaux et mis en place des aides financières. Un accompagnement spécifique a également été proposé aux communautés nomades sédentarisées, qui, ne possédant pas de titres de propriété, rencontraient des obstacles supplémentaires pour accéder aux dispositifs d’aide et trouver un logement adapté. En 2022, cette étape clé du projet a été finalisée.

  • L’implication citoyenne: La population de Blois a été impliquée dans la planification du devenir du déversoir. En 2021, Agglopolys a lancé une consultation en ligne permettant de recueillir les idées de la population résidente quant aux aménagements futurs du site. Près de 1 400 réponses ont été enregistrées. La consultation a été complétée par des ateliers participatifs.  Au terme du processus participatif et des discussions avec les personnes élues, plusieurs principes ont été retenus pour orienter cette transformation. Les aménagements proposés seront progressifs, pour permettre leur ajustement selon l’appropriation du site par la population.

  • La préservation du patrimoine et de la mémoire collective: cet aspect a largement été négligé dans le projet de désurbanisation du déversoir de la Bouillie. La quasi-totalité des bâtiments a été démolie, effaçant les traces matérielles d’un quartier où les habitants entretenaient un fort attachement au lieu. Ce lien s’expliquait notamment par le fait que de nombreux ménages avaient eux-mêmes rénové leurs maisons, souvent avec peu de moyens, façonnant ainsi une véritable communauté soudée et un fort tissu social (Beublet et Génon, 2024). La disparition du quartier a entraîné une perte irréversible du cadre de vie, du tissu social et de la mémoire collective liée à cet espace. 

Synthèse des éléments à considérer

Éléments Objectifs Exemples de bonnes pratiques
Un site de relocalisation optimal
  • Consolider les milieux bâtis existants ou requalifier des terrains déjà artificialisés
  • Favoriser une bonne insertion des activités relocalisées dans la trame urbaine
  • Favoriser un site à proximité, dans la même municipalité
Densifier les sites sous-utilisés situés hors des zones inondables
Évaluer les sites de relocalisation possibles à l’échelle régionale
La valorisation des secteurs devenus vacants
  • Préserver et restaurer les fonctions naturelles du site
  • Favoriser la multifonctionnalité
  • Assurer l’accessibilité à la population
Créer une zone d’expansion des crues
Élaborer un plan directeur d’aménagement des terrains vacants
La planification du retrait et la gestion des acquisitions
  • Assurer une transition ordonnée et planifiée

  • Privilégier les acquisitions de gré à gré plutôt que les expropriations

  • Offrir des solutions adaptées aux populations vulnérables


Utiliser le droit de préemption
Offrir un accompagnement aux ménages ayant des besoins particuliers
Vendre aux enchères des maisons relocalisables
Des compensations suffisantes et équitables
  • Garantir une compensation financière qui reflète la juste valeur des biens touchés

  • Offrir des solutions équitables aux populations exclues des programmes de rachats

  • Adapter les modalités des programmes de rachat en fonction du contexte

  • Assurer la transparence des critères de compensation


Baser le montant de compensation sur la valeur foncière avant sinistre et tenir compte de l'inflation
Mettre en place des aides financières particulières pour les ménages vulnérables (p. ex. à faible revenu ou les locataires)
Mobiliser les services sociaux
L’implication citoyenne
  • Établir un dialogue constructif avec la population concernée le plus tôt possible

  • Impliquer la population dans l’élaboration de scénarios d’aménagement

Organiser des activités de participation publique appropriées au contexte
Identifier une personne médiatrice entre la population et la collectivité porteuse du projet
La préservation du patrimoine et de la mémoire collective
  • Cultiver la mémoire du risque

  • Préserver le patrimoine culturel du territoire

  • Maintenir le tissu social et le lien au territoire

Installer des repères de crues, des installations artistiques ou une signalétique pédagogique
Déplacer des éléments patrimoniaux sur le site de relocalisation

Conclusion: les enseignements

Les cas présentés mettent en évidence la diversité des approches pour relocaliser des quartiers exposés aux inondations. De ces exemples, certaines leçons peuvent être tirées: 

  • Le retrait planifié semble plus facilement réalisable dans un contexte post-catastrophe. Lorsqu’une inondation majeure a eu lieu, les impacts sont tangibles, la perception du risque est plus forte et donc l’adhésion de la population à ce genre d’opération augmente.

  • L'expérience montre que ces projets impliquent une décision prise à l’échelle locale ou régionale, par des acteurs directement touchés et en contact avec la population. Toutefois, un tel projet nécessite des moyens financiers considérables, notamment pour l’acquisition des propriétés et la relocalisation des résidents. Le soutien des paliers supérieurs de gouvernement est donc indispensable pour en assurer sa faisabilité.

  • Les opérations de désurbanisation peuvent profondément affecter l’attachement de la population à leur territoire et fragiliser le tissu social. Parce que ces dimensions jouent un rôle essentiel dans la viabilité et la résilience des milieux de vie, il est crucial d’intégrer ces enjeux dès les premières réflexions du projet. Cela implique de mettre en place des actions permettant de conserver le souvenir de l’ancien quartier disparu, comme des archives, des témoignages ou des aménagements commémoratifs, tout en limitant autant que possible les pertes patrimoniales significatives. 

  • L’absence d’une vision claire ou de décisions assumées peut entraîner des conséquences majeures sur l’avenir de l’ancien quartier. En effet, le risque de créer un «quartier fantôme» découle souvent d’une incertitude prolongée sur l’avenir du quartier, dissuadant les investissements ou les initiatives de revitalisation et engendrant une baisse de la valeur foncière des propriétés restantes. Aussi, le maintien d’infrastructures municipales (routes, égouts, services publics) pour une population résiduelle devient un fardeau financier disproportionné pour la collectivité. Ces scénarios soulignent la nécessité de décisions politiques claires et assumées, accompagnées d’un dialogue avec la communauté. 

À retenir:

  • Le retrait planifié, bien qu’il gagne en popularité comme réponse aux défis des zones à risque, demeure une option de dernier recours. Cette approche est éprouvante et pose des problèmes d’une grande complexité à presque tous les niveaux : social, économique, environnemental et politique. Elle n’est pas applicable à toutes les municipalités et nécessite une planification d’ensemble, transcendant les décisions individuelles des propriétaires. L’implication des paliers supérieurs de gouvernement, notamment pour le financement des acquisitions, est cruciale, tout comme la mise en place d’un processus de participation publique robuste. Cependant, lorsqu’elle est envisagée, elle peut offrir une fenêtre d’opportunité unique pour repenser le territoire


Références

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Contenu créé dans le cadre de

Projet «Vers une planification intégrée des milieux de vie bâtis et des zones inondables»

Ce projet est réalisé grâce à l'aide financière du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation.

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Notice bibliographique recommandée :

VIVRE EN VILLE (2025). Inondations: planifier le retrait de quartiers exposés aux inondations. Carrefour.vivreenville.org.

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