Abordabilité du logement: repères et référence
Bien que nécessaire pour la création de milieux de vie complets, le logement abordable suscite de vifs débats en ce qui concerne son implantation. Qu’est-ce qu’un logement abordable? Combien faut-il en construire? Qui devrait pouvoir vivre dans un logement abordable? Dans cette complexité, on se retrouve à regretter non seulement le manque de logements abordables, mais aussi l’inabordabilité de ceux que nous avons réussi à livrer. Pour dépasser ces questionnements et assurer l’accès au logement pour l’ensemble de la population, il faut élargir la loupe et revoir les concepts.
L’abordabilité n’est pas une caractéristique de l’unité d’habitation tel que le sous-entend l'appellation «logement abordable». On l’observe en combinant deux mesures: le prix du loyer et le pouvoir d’achat de l’occupant.
En ce sens, l’abordabilité est une caractéristique de marché et non un type d’immeuble. C’est un contexte dans lequel tous les ménages, peu importe leur niveau de revenu, ont des options intéressantes dans le marché. Il est plus utile et plus cohérent de chercher à créer des conditions de marché dans lequel tous les ménages trouvent facilement un chez-soi convenable que de chercher à distribuer équitablement un stock de logements qui, par définition, n’est pas suffisant pour loger l’ensemble de la population.
Source: Vivre en Ville, d'après les données de APCIQ, 2008-2018; SCHL, 2022.
Le loyer comme indicateur de santé du marché de l'habitation
Le loyer est l’indicateur le plus éclairant à notre disposition concernant la santé de l’ensemble du marché de l’habitation. Même si l'immobilier est un objet matériel, l'habitation est un service, et non pas un bien de consommation (Vivre en Ville, 2023). Le montant exigé pour accéder à ce service est ce qu’on appelle un loyer: la somme à verser pour occuper un lieu donné sans autre contrepartie. Comme pour les autres services (p. ex. dentiste, taxi, gym), la cessation du paiement met fin au service, et signifie que l'on ne conserve rien de tangible.
Pour livrer le service de l’habitation, il faut à la base un immeuble pour lequel les gens sont prêts à payer un loyer. Ce sont les loyers qui déterminent la valeur marchande des immeubles, puisque le potentiel de revenu est directement calculé en fonction des loyers qu'on peut y percevoir. Les maisons individuelles sont également soumises à cette logique: si une maison peut être louée pour 2 000 $ par mois, l’acheteur acquiert alors également la possibilité de générer ce revenu. En suivant les loyers, il est possible d’estimer le coût de base de l’accès au territoire, car tous les immeubles destinés à l'habitation incorporent dans leur valeur le potentiel de revenu qu'ils peuvent générer avec les loyers.
Par ailleurs, étant une mesure mensuelle, le loyer permet d’ajouter facilement la valeur de ce service au revenu mensuel de son propriétaire, ce qui est impossible avec le prix d’achat d’une maison. En effet, lors d’une vente de maison, la somme annoncée par le vendeur est nécessairement moindre que celle qui sera déboursée par l’acheteur – notamment par l’ajout de frais d’hypothèque, de taxes ainsi que d’autres frais juridiques – et est donc difficilement comparable au revenu de l’acheteur. En ce sens, lorsqu’on aborde le marché de l'habitation en se focalisant d’abord sur le prix des maisons, un flou est créé et il devient compliqué de comprendre le véritable coût de l’habitation. En mettant l'accent sur les loyers, nous obtenons une perspective plus simple et directe, permettant aux décideurs et aux experts d'évaluer de manière plus précise la charge financière imposée aux consommateurs.
Les risques d’un marché immobilier inabordable
En termes économiques, toutes les personnes sont consommatrices du service de l’habitation, et ce, sans exception. Par conséquent, lorsqu’une crise du logement survient, chaque personne est affectée, ou a le potentiel de l’être. Les effets de la crise résonnent sur l’ensemble du territoire, impactant chaque ménage, et peuvent grandement limiter le bien-être de chacun.
Un accès limité au territoire
Le logement est un important déterminant social de la santé. Pourtant, au Québec comme ailleurs, le marché de l’habitation fait face à une «distribution différenciée, systémique, évitable [et injuste] des ressources matérielles, sociales et culturelles entre les groupes et les personnes» ainsi qu’à une précarisation croissante de l’accès au logement et de la mobilité résidentielle (Bihr et collab., 2014; CCNDS, 2013; CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, 2022). Ceci est particulièrement inquiétant pour les populations les plus vulnérables - dont les ménages à faible revenu, les ménages locataires, les minorités ethniques, les familles monoparentales et les immigrants - qui dédient une part déraisonnable de leurs revenus pour se loger (Centraide, 2022). Cela peut d’ailleurs induire d’importants sacrifices tels que devoir renoncer à des études supérieures et formations professionnelles, vivre dans un logement inadapté par sa taille ou son accessibilité, déménager fréquemment ou même taire les conditions d’insalubrité ou de discrimination subies.
L’exode vers les banlieues
Contraints à des options de plus en plus limitées, de nombreux Québécois et Québécoises choisissent de déménager vers les banlieues afin d’accéder à la propriété et de s’auto-garantir un avantage relatif par rapport aux ménages qui restent locataires. L’adage drive until you qualify résume efficacement cette nécessité de s'éloigner de plus en plus des centres urbains pour parvenir à acheter une maison. Cette dynamique entraîne des conséquences environnementales désastreuses, en contribuant à l'étalement urbain et augmentant la dépendance à la voiture et, par le fait même, les émissions de gaz à effet de serre. De plus, ce mouvement gruge les terres agricoles, réduisant les espaces cultivables qui sont essentiels à la production alimentaire locale et les milieux naturels essentiels à la biodiversité
Un marché en faveur des consommateurs
Source: Vivre en Ville, d'après SCHL, 1990-2020.
Parler d’un marché en faveur des consommateurs et consommatrices conduit à reconnaître la situation inverse, c’est-à-dire un marché qui leur est défavorable. Un tel marché réunirait des conditions dans lesquelles les acheteurs et acheteuses auraient du mal à débourser des sommes raisonnables pour acquérir des biens et services de qualité. Par corollaire, on peut imaginer que ces difficultés sont profitables pour les vendeurs et vendeuses, qui disposent d’une grande latitude pour extraire un maximum de revenus de la part des consommateurs et consommatrices qui, pour leur part, n’ont pas d’alternatives.
À partir de cette hypothèse, on peut supposer qu’un marché en faveur des consommateurs et consommatrices est nécessairement défavorable aux vendeurs et vendeuses de biens et services, puisqu’il indique un contexte dans lequel les premiers ont un pouvoir d’achat croissant, ce qui leur permet de discriminer les offres qui leur sont faites et de changer de prestataires de services relativement facilement. Toutefois, il faut réconcilier la théorie et la pratique quand on parle d’habitation: même si un marché en faveur des consommateurs et consommatrices applique nécessairement une pression sur les (re)vendeurs et (re)vendeuses de services, ces derniers sont eux-mêmes des consommateurs et des consommatrices. Comme toute la population doit se loger, des conditions de marché qui font reculer le prix des services en habitation par rapport au pouvoir d’achat des ménages est intrinsèquement un bien commun dont tout le monde profite.
Le contrôle de la qualité des aliments est un parallèle utile à établir avec celui de l’abordabilité du logement. Tout comme le marché résidentiel ne produit pas spontanément des conditions d’abordabilité pour tous les ménages, le marché agroalimentaire ne produit pas nécessairement des aliments de qualité adéquate pour les besoins de la population. C’est pour cette raison que l'État intervient par plusieurs moyens pour contraindre et contrôler la qualité des aliments disponibles à la consommation sur le territoire. Or, même si cette intervention s’effectue plausiblement au détriment de producteurs et productrices alimentaires qui souhaiteraient profiter de conditions plus libres pour maximiser leurs profits, la conséquence de ces contrôles est de protéger l’entièreté de la population des conséquences néfastes d’aliments viciés, toxiques ou impropres à la consommation. Il va de soi que tous souhaitent manger de la nourriture qui ne les rend pas malades; il devrait aller de soi que tous souhaitent se loger facilement et à bas prix.
Pour une sortie de crise durable
À dessein d’organiser une sortie de la crise de l’habitation au bénéfice de l’ensemble de la population, il est impératif de reconnaître que le marché seul ne peut résoudre ses propres défis. Une intervention concertée, impliquant une série de leviers législatifs, fiscaux et réglementaires, est nécessaire afin de changer de paradigme et de mettre le marché au service des besoins de la population.
En outre, pour parvenir à un réel contexte d’abordabilité, il est essentiel d'explorer de nouvelles approches et d'étendre l'action municipale au-delà du simple domaine de l'habitation. Des initiatives intégrées, englobant l'urbanisme et le développement économique existent et méritent d'être explorées.
Notes
1. «Conduis jusqu’à ce que le prix des maisons à vendre soit à la hauteur de ta capacité d’emprunt», c’est-à-dire que les unités les plus excentrées et/ou isolées sont souvent les seules que peuvent se permettre les ménages qui accèdent à la propriété pour la première fois. Cette dynamique de marché s’observe également dans le marché locatif, comme la valeur des loyers est également une fonction des qualités intrinsèques des unités à louer telle que la localisation.
Références
APCIQ [ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES COURTIERS IMMOBILIERS DU QUÉBEC] (2008). Le baromètre MLS du marché résidentiel du Québec. Région métropolitaine de Montréal, APCIQ. [PDF]
APCIQ [ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES COURTIERS IMMOBILIERS DU QUÉBEC] (2015). Le baromètre MLS du marché résidentiel du Québec. Région métropolitaine de Montréal, APCIQ. [PDF]
APCIQ [ASSOCIATION PROFESSIONNELLE DES COURTIERS IMMOBILIERS DU QUÉBEC] (2018). Le baromètre MLS du marché résidentiel du Québec. Région métropolitaine de Montréal, APCIQ. [PDF]
BAHNEY, Anna (2024). «Here’s where the price of rent is dropping in the US», CNN News. [En ligne]
CENTRAIDE (2022). «Signes vitaux 2022: La situation du logement dans le Grand Montréal», Centraide. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal (2022). «Mémoire sur la consultation publique de la Politique métropolitaine d'habitation», Collections de BAnQ. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
GOUDREAULT, Zacharie (2023). «La cession de bail, de plus en plus utilisée, est menacée. Et alors?», Le Devoir. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
PRATTE, Colin (2023). «Petite histoire de la cession de bail au Québec», Iris. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
SCHL [SOCIÉTÉ CANADIENNE D'HYPOTHÈQUE ET DE LOGEMENTS] (1990-2020). «Tableaux de données – Mises en chantier mensuelles et construction résidentielle», Données mensuelles sur les mises en chantier et la construction. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
SCHL [SOCIÉTÉ CANADIENNE D'HYPOTHÈQUE ET DE LOGEMENTS] (2022). Le marché sous la loupe. Offre et demande de logements au Québec par rapport à la taille du parc immobilier, SCHL. [PDF]
STARK, Sam (2022). «Austin rental prices continue to fall from record highs», Kxan News. [En ligne] (consulté le 28 mai 2024).
VIVRE EN VILLE (2023). Pour un véritable plan d’action en habitation: tout le Québec habite quelque part [PDF]. 52 p.
VIVRE EN VILLE (2022). Portes ouvertes [PDF]. 64 p. (coll. L’Index).
VIVRE EN VILLE (2024). Abordabilité résidentielle: repères et référence. Carrefour.vivreenville.org
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Date de publication 2 octobre 2024
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