La conservation des milieux naturels au Québec
Comment ça fonctionne et pourquoi les outils d'aménagement du territoire sont-ils incontournables?Au Québec, un éventail de possibilités existe pour la conservation de la biodiversité. Mais l’urgence d’agir et de mieux utiliser notre territoire dans son ensemble nécessite une vision ambitieuse et intégrée. Étant déjà responsables de nombreux exercices de planification, les MRC et municipalités sont appelées à jouer un rôle essentiel dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette dernière.

La biodiversité, ou diversité biologique, fait référence à l’ensemble des êtres vivants et les écosystèmes dans lesquels ils vivent, mais aussi les interactions entre elles et avec leur milieu (Québec, 2022; Québec, 2025). Sa conservation est au cœur des échanges de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui a tenu en 2022 sa 15e Conférence des Parties à Montréal. Lors de la COP15, la signature du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal (Cadre Kunming-Montréal) a engagé les signataires à protéger 30% de leur territoire terrestre et marin d’ici 2030, mais aussi plus largement à utiliser et aménager leur territoire plus durablement pour conserver la biodiversité.
Les menaces dramatiques qui pèsent sur la biodiversité renforcent sans cesse l’urgence de la conserver, ne serait-ce que parce qu’elle est nécessaire à la survie des sociétés humaines. La biodiversité génère de nombreux services écosystémiques, qui constituent des bénéfices essentiels: notre santé, notre sécurité, la vitalité de notre économie et la qualité de nos milieux de vie en dépendent. Elle est aussi essentielle à nos démarches d’atténuation et d’adaptation face aux changements climatiques.
La conservation des milieux naturels pour assurer le maintien de la diversité biologique
L’adhésion au Cadre Kunming-Montréal (Québec, 2022) vient renforcer les efforts déjà effectués en faveur de la conservation de la biodiversité. Parmi ceux-ci, le Québec s’est doté au cours des dernières années de plusieurs lois encadrant la question. En particulier, la Loi sur la conservation du patrimoine naturel (Québec, 2024), qui vise entre autres à accroître les territoires visés par des mesures de conservation, définit la conservation comme «un ensemble de mesures visant à assurer le maintien du patrimoine naturel et des écosystèmes qui le composent, notamment leur protection, leur restauration écologique et leur utilisation durable».
Une superposition de pratiques
La conception de la conservation dans les lois et politiques québécoises repose essentiellement sur la définition de Limoges et collab. (2013): «Ensemble de pratiques comprenant la protection, la restauration et l’utilisation durable et visant la préservation de la biodiversité, le rétablissement d’espèces ou le maintien des services écologiques au bénéfice des générations actuelles et futures».
Cette notion comprend donc plusieurs pratiques, qui ne sont pas incompatibles entre elles ni exclusives:
- Protection: ensemble de moyens visant à maintenir l’état et la dynamique naturels des écosystèmes et à prévenir ou atténuer les menaces à la biodiversité.
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Utilisation durable: usage d’une ressource biologique ou d’un service écologique ne causant pas ou peu de préjudice à l’environnement ni d’atteinte significative à la biodiversité.
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Restauration écologique: ensemble d’actions visant, à terme, à rétablir un caractère plus naturel à un écosystème dégradé ou artificialisé, en ce qui concerne sa composition, sa structure, sa dynamique et ses fonctions écologiques.
Il existe donc plusieurs manières de mettre en œuvre la conservation, qui peuvent s’adapter à divers contextes et circonstances: utilisations souhaitées pour le milieu, fragilité du milieu, tenure des terres, etc. Plus encore, cette échelle de propositions élargit notre compréhension commune de la conservation et met en valeur les multiples manières de favoriser le maintien de la biodiversité, sans systématiquement séparer milieux naturels et milieux de vie.
Des désignations officielles, mais pas que!
Dans les faits, ces pratiques de conservation se déclinent de plusieurs façons au Québec.
Parc de conservation du ruisseau de Feu, Terrebonne. Source: Vivre en Ville.
Les aires protégées et autres mesures de conservation efficaces (AMCE): des territoires comptabilisés pour l’atteinte de la cible de 30%
Les territoires délimités pour faire l’objet de mesures de protection, et donc comptabilisés pour l'atteinte de la cible de 30% du territoire protégé, peuvent être distingués en deux catégories: les aires protégées et les autres mesures de conservation efficaces (AMCE). Ces deux types d’aires sont recensées dans le registre des aires protégées et des AMCE au Québec (Québec, s.d.).
Les aires protégées sont des territoires délimités faisant l’objet d’un statut de protection. Il existe plus d’une trentaine de statuts au Québec: selon ceux-ci, ces aires peuvent se trouver en terres publiques ou privées et se distinguer par certaines modalités (taille, activités permises, responsabilité et gestion, etc.). En revanche, leur point commun est que l’objectif principal de chacune de ces aires doit être tourné vers la conservation de la biodiversité.
Il existe plusieurs catégories d’aires protégées, donc de statuts de protection. Basé sur les catégories de gestion définies au niveau mondial (Dudley, 2008) par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le système de catégorisation québécoise s’échelonne d’une gestion stricte (catégorie I à IV, comprenant entre autres les parcs nationaux et la majorité des réserves naturelles en terres privées) à des cadres de gestion plus flexibles, conciliant plusieurs types d’activités sur de vastes territoires (catégorie V, comprenant les paysages humanisés, et catégorie VI, comprenant les aires protégées avec utilisation durable des ressources (APUD)).
Contrairement aux aires protégées, où la conservation de la biodiversité est l’objectif principal du territoire visé, le statut d’AMCE peut être accordé à un territoire utilisé à d’autres fins, mais dont la gestion permet indirectement mais efficacement de générer des résultats positifs pour la biodiversité. Les AMCE permettent ainsi de reconnaître, en terres publiques ou privées et pour n’importe quelle activité jugée compatible, des mécanismes de gestion existants tant que leur efficacité pour la conservation et la fiabilité de la gouvernance est reconnue (Québec. MELCCFP, 2024).
Au delà des désignations officielles, les mesures de conservation complémentaires (MCC)
À travers le Cadre Kunming-Montréal, le Québec s’est aussi engagé à mieux utiliser, aménager et gérer collectivement les 70% du territoire qui, à terme, ne seront pas visés par des statuts de protection. Les pratiques qui permettront de répondre à ces objectifs sont appelées mesures de conservation complémentaires (MCC). Elles pourront se traduire par différentes mesures du spectre de la conservation: protection, utilisation durable ou restauration. Leur mise en place se fera sur une base volontaire ou pourra être appuyée par des incitatifs ou par un encadrement réglementaire.
Les MCC offrent davantage de possibilités de conservation: elles peuvent couvrir des territoires de taille très variable et accueillir certaines activités tout en étant efficaces du point de vue du maintien de la biodiversité, sans avoir besoin d’établir des mécanismes rigides et une reconnaissance administrative. Ces espaces pourront compléter les aires protégées et contribuer à les relier entre elles, la connectivité des milieux étant également une condition indispensable à la résilience de la biodiversité.
Pâturage en milieu naturel. Source: Vivre en Ville.
La conservation, une préoccupation pour tous les acteurs du territoire
Cet éventail de mesures est porté par une diversité d’acteurs du territoire, en fonction de leurs responsabilités et de leurs besoins.
Les acteurs traditionnels de la conservation
Les gouvernements québécois et canadien sont d’abord des acteurs de choix: il sont certes chargés d’édicter les lois et les normes qui permettent la mise en oeuvre de la conservation, mais ils ont également un rôle décisif à jouer dans l’établissement et la gestion de certaines aires protégées, en particulier sur les terres publiques et pour ce qui a trait aux parcs nationaux.
En terres privées, la conservation sous toutes ses formes est principalement portée par des organismes dont la mission y est dédiée: ils sont responsables de la promotion de la conservation, de l’acquisition de connaissances, de l’accompagnement des municipalités ou de propriétaires de terrains, de la gestion et éventuellement de l’acquisition de milieux d’intérêt écologique. Dans chaque région, ils sont les garants de la coordination des actions et du suivi de l’évolution de la situation.
Un rôle accru pour des acteurs moins coutumiers
L’implication des propriétaires de terres privées est également primordiale. Grâce à la conservation volontaire, plusieurs outils sont à leur disposition pour assurer la conservation de leur terres, allant de la vente à un organisme de conservation à l’implantation de meilleures pratiques de gestion, en passant par la servitude de conservation. Les propriétaires souhaitant conserver leurs terres peuvent s’adresser à un organisme de conservation national ou régional pour être guidés dans leurs démarches. Outre leur propre volonté de favoriser la biodiversité, des incitatifs, notamment fiscaux, sont également mis en place pour les aider à s’engager vers cette voie.
Enfin, toute organisation publique ou privée peut participer à la conservation ou favoriser la biodiversité, d’abord en proposant des AMCE et en soutenant le développement des types d’aires protégées de catégories V et VI, comme les APUD ou les paysages humanisés, mais aussi en posant des gestes concrets (aménagements ponctuels sur une propriété, choix de meilleures pratiques de gestion ou de production, etc.) ou en soutenant un organisme de conservation.
Aller plus loin grâce aux outils d'aménagement du territoire: la responsabilité des instances municipales
Malgré toutes les possibilités existantes pour mettre en œuvre la conservation, l’urgence induite par les multiples crises de la biodiversité, du climat et de la pollution exigent d’accélérer l’adoption de pratiques de conservation de la biodiversité, mais aussi de transformer et d’optimiser notre utilisation du territoire pour répondre aux besoins légitimes de nos sociétés. Les 70% du territoire qui ne seront pas inclus dans une aire protégée ou une AMCE peuvent aussi faire l’objet de conservation.
Les moyens financiers disponibles pour faire de la conservation sont cependant limités, et devraient être dévolus en priorité à la protection exhaustive de milieux naturels particulièrement sensibles ou précieux. Il est donc nécessaire d’optimiser les moyens de toutes les parties prenantes coopérant à la conservation pour accroître les retombées de leurs efforts, et de trouver des pratiques complémentaires à l’acquisition des territoires à conserver, tout à fait efficace mais particulièrement onéreuse. L’urgence de la situation nécessite également de trouver des solutions pour conserver le territoire qui n’a pas la chance d’être offert à la conservation volontaire.
Dans ce contexte, il est fondamental que les instances municipales et supramunicipales s’allient aux autres acteurs de la conservation: à travers leurs compétences et outils complémentaires, elles ont la possibilité de catalyser et d’enrichir l’action des propriétaires et des organismes de conservation et de garantir une meilleure utilisation du territoire sans nécessairement requérir des statuts de protection particuliers. De toutes ces compétences, l’aménagement du territoire présente un fort potentiel pour atteindre cet objectif.
Les MRC ont pour obligation de se saisir des enjeux de conservation et de connectivité écologique des milieux naturels, à la fois en raison des orientations gouvernementales en aménagement du territoire (OGAT) et de la responsabilité d’élaborer un plan régional des milieux humides et hydriques (PRMHH). Le schéma d’aménagement et de développement (SAD) s’impose alors comme l’outil privilégié pour concrétiser ces préoccupations. Plusieurs outils sont ensuite à la disposition du milieu municipal pour se conformer à la vision régionale, voire la précéder: plans et règlements d’urbanisme, plans climat, politiques en biodiversité, etc.
En définitive, la conservation des milieux naturels n’est qu’une responsabilité parmi d’autres des MRC et municipalités. Et pourtant, c’est ce qui fait la force des instances municipales: leur capacité à traiter les différents enjeux d’un territoire de façon transversale et intégrée pour planifier et aménager durablement le territoire est un levier puissant pour l’accélération et la pérennisation de la conservation de la biodiversité.
Références
DUDLEY, Nigel (éditeur) (2008). Lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées, Gland (Suisse), UICN [UNION INTERNATIONALE POUR LA CONSERVATION DE LA NATURE] [PDF]. 96p.
LIMOGES, Benoit, Gaétane BOISSEAU, Louise GRATTON et Robert KASISI (2013). « Terminologie relative à la conservation de la biodiversité in situ », Le Naturaliste canadien, vol.137, n°2, p. 21–27. [DOI:10.7202/1015490ar]
QUÉBEC. CABINET DU MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS (2022). Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal - Québec salue les engagements historiques et y adhère fièrement, communiqué du 19 décembre 2022. [Lien]
QUÉBEC (2024). Loi sur la conservation du patrimoine naturel, RLRQ, c. c-61.01, à jour au 30 novembre 2024, Québec, Éditeur officiel du Québec.
QUÉBEC (2025). Biodiversité du Québec, Québec, Gouvernement du Québec. [https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/biodiversite/biodiversite-quebec] (consulté le 29 mai 2025).
QUÉBEC. MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS [MELCCFP] (2024). Reconnaissance des autres mesures de conservation efficace (AMCE) en milieu continental au Québec - Lignes directrices 2024, 1ère édition. Québec, Direction principale du développement de la conservation, 27 p.
QUÉBEC. MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES, DE LA FAUNE ET DES PARCS [MELCCFP] (s.d.). Registre des aires protégées et des AMCE au Québec, Québec, MELCCFP. [https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/registre/index.htm] (consulté le 6 juin 2025).
Projet «L’utilisation durable des milieux humides et hydriques sous la loupe de l’aménagement du territoire»
Cette initiative est financée par le Fonds bleu dans le cadre du Plan national de l’eau de la Stratégie québécoise de l'eau, qui déploie des mesures concrètes pour protéger, utiliser et gérer l'eau et les milieux aquatiques de façon responsable, intégrée et durable.
Elle est réalisée avec l’appui du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
VIVRE EN VILLE (2025). La conservation des milieux naturels au Québec. Carrefour.vivreenville.org.
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Date de publication 13 juin 2025Date de mise à jour 13 juin 2025
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