Inondations par embâcle de glace ou de frasil

Qu’est-ce qu’une inondation par embâcle de glace ou de frasil? 

Un embâcle de glace correspond à un barrage créé par l’accumulation de glace à un endroit de la rivière, entravant l’écoulement naturel du cours d’eau et détournant le débit hors de son lit. Ce bouchon peut survenir lors d’une débâcle hivernale ou printanière lorsque le couvert de glace se casse et se déplace avec le courant jusqu’à se retrouver bloqué dans un secteur de faible profondeur, de rétrécissement de la rivière ou présentant des obstacles. L’embâcle peut également être dû à la formation de frasil et de glace de fond, correspondant à l’entassement de fines aiguilles ou de plaquettes de glace en suspension dans l’eau (Turcotte, 2013). En représentant un obstacle majeur au cours de la rivière, les embâcles produisent une énorme résistance hydraulique amenant les rivières à inonder leurs berges ou à pousser le bouchon en aval.

Inondation par embâcle de glace | Source : Vivre en Ville

À quel point les municipalités québécoises sont exposées à cet aléa?

Les cours d’eau de nombreuses municipalités québécoises sont fréquemment touchées par des phénomènes de rupture ou d’amoncellement de glace. Entre 1972 et 2000, ce sont 550 débâcles qui ont été recensées sur neuf rivières du Québec, soit une moyenne de deux débâcles significatives par année, par cours d’eau (Morse et Turcotte, 2018). Les débâcles peuvent engendrer des embâcles en aval, et donc des inondations. C’est environ la moitié des inondations par débordement de cours d’eau qui seraient causées par ce phénomène. 

Ces embâcles peuvent avoir des impacts importants sur les activités humaines. Plusieurs événements marquants l’ont montré, comme l’embâcle d’avril 2005 à Saint-Pacôme qui a provoqué l’inondation du village pendant une période de deux jours, forçant l’évacuation d’une centaine de personnes et engendrant 500 000 dollars de dommages matériels (Suzan, 2010). La ville de Saint-Raymond est également régulièrement touchée par des inondations causées par les glaces : elles représentent 57 % des inondations répertoriées par la municipalité. L’embâcle de 2014 a été particulièrement dévastateur : plus de 485 bâtiments ont été affectés (Ville de Saint-Raymond, 2021). Une autre ville très associée à ce type d’événement est Beauceville : toutes les inondations de la rivière Chaudière recensées sur son territoire depuis 1918 ont été causées par des embâcles de glace. Un rapport de 2020 fait remarquer que celles-ci sont de plus en plus fréquentes depuis 2015 (Biron et collab., 2020). 

L’étude de 2018 sur les neuf rivières québécoises estimait que la moitié des montants versés en aide financière par le ministère de la Sécurité publique entre 1991 et 2012 concernait des inondations par embâcle de glace (Morse et Turcotte, 2018).

Pont du Faubourg à l'Anse-Saint-Jean rehaussé après avoir été emporté par un embâcle en 1986  | Source : Vivre en Ville

Dans un contexte de changements climatiques, il est attendu que la fréquence des redoux hivernaux augmente dans les prochaines années, entraînant des modifications au régime glacial des cours d’eau. Bien que, pour certains cours d’eau, ces modifications tendraient à réduire la fréquence des embâcles à mesure que les températures hivernales se réchauffent, pour d’autres, elles seraient synonymes d’augmentation de la fréquence des embâcles et du risque d’inondation associé à ces derniers. C’est le cas par exemple pour les rivières Saint-François et Chaudière, ainsi que pour plusieurs cours d’eau situés dans des régions du Québec allant de Lanaudière à la Gaspésie et au Lac-Saint-Jean (Morse et Turcotte, 2018).

En quoi les conséquences d’une inondation par embâcle sur un milieu de vie diffèrent-elles de celles d’une inondation en eau libre? 

Les embâcles de glaces sont très localisés

La débâcle, c’est-à-dire la rupture brusque de la couverture de glace, peut avoir lieu n’importe où dans la rivière. En revanche, le lieu où s’accumulent les glaces pour créer l’embâcle est très localisé. Cet endroit est généralement lié à un rétrécissement du chenal principal, à une diminution de la pente de la rivière, à une diminution de la profondeur du lit, à la présence d'obstacle dans le lit ou bien à un coude dans la rivière (Government of Alberta, 2018).

Les inondations par embâcles de glace sont plus rapides et soudaines

Contrairement aux inondations en eau libre où le niveau de l’eau augmente en quelques heures ou quelques jours, le niveau de l’eau lors des inondations par embâcle augmente en quelques heures, voire en quelques minutes. Cette brusque élévation est due à un important volume de glace ou de frasil bloquant l’écoulement du cours d’eau. La libération d’un embâcle peut entraîner une baisse rapide du niveau de l’eau à proximité de celui-ci, mais une hausse en aval. (Gouvernment of Alberta, 2018).

Le niveau d’eau est souvent plus élevé que lors des inondations en eau libre

Contrairement aux inondations en eau libre, la présence de glace fluviale perturbe la relation linéaire entre le niveau et le débit des eaux libres car elle modifie la capacité de transport et les caractéristiques hydrauliques des rivières. Ainsi, le niveau d’eau associé aux embâcles dépend de plusieurs paramètres et pas uniquement du débit. Par exemple, l’épaisseur et la rugosité de la couverture de glace peuvent multiplier par deux ou trois fois les niveaux d’eau (Das et Lindenschmidt, 2021).

Certains paramètres sont plus difficiles à prédire

Les inondations par embâcle de glace seraient dix fois plus complexes à prédire que les inondations en eau libre, qu’il s’agisse du moment de  la survenue du phénomène que de l’importance des conséquences. En effet, alors que les inondations en eau libre dépendent principalement des pluies et de la fonte des neiges, le phénomène de débâcle et la formation d’embâcle dépendent de plusieurs facteurs supplémentaires tels que la quantité d’eau et de glace s’écoulant dans la rivière, l’épaisseur et la force de la glace et la vitesse à laquelle elle fond, la forme de la rivière ou encore la température de l’air (Morse et Turcotte, 2018; Government of Alberta, 2018).

De plus, il est difficile d’évaluer les caractéristiques des inondations causées par l’embâcle. Par exemple, plusieurs paramètres sont à prendre en compte pour déterminer le niveau d’eau de l’inondation. Ces paramètres sont souvent difficiles à mesurer en cas d'embâcle, et leurs impacts sur l'hydraulique fluviale sont souvent imprévisibles ; par conséquent, pour un débit donné, une gamme de niveaux d’eau est possible tant pour les embâcles que pour la débâcle (Das et Lindenschmidt, 2021a).

L’aménagement du territoire comme opportunité pour réduire les risques

Les risques liés aux inondations par embâcle de glace sont nombreux et l’aménagement du territoire, que ce soit à l’échelle du bassin versant, du milieu de vie, des espaces publics ou des bâtiments, constitue une opportunité de réduire ces risques. Pour en apprendre plus sur les stratégies d’aménagement pour atténuer les risques liés aux inondations dans les milieux urbanisés, pour mettre en valeur les zones inondables et optimiser l’urbanisation des secteurs environnants, consultez notre formation en ligne  Planifier la transformation durable des milieux exposés aux inondations.

Références 

BIRON, Pascale, Etienne, BOUCHER, et Wael, TAHA.  (2020). Comité expert visant à identifier des solutions porteuses pour la réduction de la vulnérabilité des risques liés à l’inondation par embâcles de glace sur la rivière Chaudière. Rapport final pour le Ministère de l’Environnement et la Lutte contre les changements climatiques. 103 p. [PDF]

DAS, Apurba et Karl-Erich LINDENSCHMIDT (2021). “Modelling climatic impacts on ice-jam floods: a review of current models, modelling capabilities, challenges, and future prospects.” Environmental Reviews. vol. 29, no3, p. 378-390. [En ligne]

GOVERNMENT OF ALBERTA (2018). Alberta’s river forecast centre fact sheet : Ice jam flooding. 2 p. [PDF]

MORSE Brian. (2001). “Winter navigation on the St. Lawrence River”. Communication présentée lors de la 16ème conférence internationale sur l’ingénierie portuaire et océanique dans les conditions arctiques (POAC), Ottawa, Canada, Port and Ocean Engineering under Arctic Conditions, du 12 août 2001 au 17 août 2001.

MORSE, Brian et Benoît, TURCOTTE (2018). Risque d’inondations par embâcle de glace et estimation des débits hivernaux dans un contexte de changements climatiques (VOLET A), Université Laval, Rapport présenté à Ouranos. 79 p. [PDF]

SUZAN, Taylor (2010). Analyse de la dynamique spatio-temporelle de la formation des embâcles de glace dans un tronçon de la rivière Ouelle, Québec. Mémoire présenté de la maîtrise en géographie à l’Université du Québec à Montréal.

TURCOTTE, Benoît (2013). “Et si la glace des rivières m'était contée !”, Institut en environnement, développement et société Université de Laval, Québec [En ligne] (consulté le 4 mars 2024)

VILLE DE SAINT-RAYMOND (2021). Inondations [En ligne] (consulté le 18 avril 2024)