Réemploi des bâtiments
Le réemploi d’un bâtiment est une opération qui consiste à prolonger la vie d’un bâtiment existant. Il s’agit d’une opération de valorisation du cadre bâti (souvent patrimoniale) qui s'accompagne bien souvent d‘une revitalisation du milieu d'implantation. Cette démarche s’inscrit dans une logique de sobriété foncière et d'intensification de l'occupation des bâtiments dans un contexte de lutte contre les changements climatiques.

Les possibilités offertes sont plurielles selon la nature patrimoniale (ou pas), l’état de désuétude et d’occupation du bâtiment, et l’objectif de son réemploi. On distingue, par exemple:
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La requalification (parfois nommée reconversion), qui consiste à trouver une nouvelle utilité ou vocation pour un bâtiment dont l’utilité initiale n’est plus adaptée aux usages contemporains en raison des changements sociétaux et économiques (p. ex. anciennes usines, bains publics, édifices religieux).
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La rénovation, qui consiste à réparer, rafraîchir et moderniser l’esthétique d’un espace dégradé et vétuste, voire d’un édifice complet en vue d’une nouvelle occupation.
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La restauration, qui fait appel à des techniques traditionnelles de rénovation afin de préserver le caractère patrimonial.
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La réhabilitation, qui consiste en une transformation profonde incluant la mise en conformité par rapport aux normes actuelles d’un bâtiment (en partie ou dans son intégralité).
De nouveaux bâtiments dits flexibles ou réversibles intègrent, dès leur conception, cette capacité d'évolution en anticipant et en minimisant l'ampleur et le coût des adaptations:
- La flexibilité permet d'offrir la possibilité d'aménager ou de réaménager l'espace sans modifier la surface ou la fonction (p. ex. installation de cloisons démontables, mise à disposition de pièces annexes communes).
- La réversibilité permet de changer facilement la vocation du bâtiment.
Origine
La réhabilitation des bâtiments a commencé à s’imposer à la fin des années 1960, en réaction à une vague de démolition du patrimoine bâti (Joffroy, citée par Laferrière, 2007), fruit de la combinaison de plusieurs facteurs:
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une portion importante du parc immobilier arrivée à désuétude (Drouin, 2012);
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le mouvement moderniste en urbanisme, prônant une rupture avec les styles et traditions du passé, entre autres par l’utilisation systématique de nouveaux matériaux (Merlin et Choay, 2009);
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la standardisation et la production industrielle dans la construction résidentielle.
L’intérêt pour le réemploi des bâtiments a encore augmenté au cours des dernières décennies, en partie dû à un regain d’intérêt pour le patrimoine bâti, mais aussi sous l’impulsion des préoccupations environnementales. Ces dernières influencent le marché immobilier, soit parce qu’elles forcent les promoteurs et gestionnaires d’immeubles à tenir compte de considérations nouvelles comme les impacts environnementaux de leurs bâtiments, soit parce qu’elles améliorent la rentabilité de tels projets en leur donnant une plus-value. La protection, la mise en valeur et la requalification de notre patrimoine sont mentionnés dans la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire de 2023.
Pourquoi réemployer un bâtiment ?
Bien qu’il ne s’agisse pas de la solution unique, le réemploi des bâtiments présente de nombreux avantages tant pour les propriétaires que pour la collectivité. Il est donc nécessaire, dans l’intérêt collectif, de s’assurer que les décisions prises face à un bâtiment arrivé en fin de vie se basent sur des analyses les plus complètes possible.
Centre culture et environnement Frédéric Back à Québec – Source: Vivre en Ville
Souvent, les bâtiments démolis sont considérés n’avoir plus aucune valeur à la suite d’une analyse basée sur une information incomplète, ne tenant pas compte, notamment, des externalités ni de la valeur du bâtiment aux niveaux humain, social et culturel (Kohler et Yang, 2007; Bullen et Love, 2011). Selon certaines études, citées par Bullen et Love (2011), les bâtiments dont la démolition est nécessaire ne représentent que 0,5 à 1 % du parc immobilier, les autres ayant encore 30 à 50 ans de vie utile. S'ils sont mieux conçus, les bâtiments pourront à l’avenir être déconstruits (plutôt que démolis) afin de valoriser des éléments de construction ou même des parties du cadre bâti dans d'autres projets.
Réemployer un bâtiment peut parfois, sur le coup, représenter un coût équivalent, voire supérieur, à celui de la reconstruction en neuf, mais l’opération peut néanmoins représenter des avantages collectifs à long terme, qui doivent être pris en compte dans la décision finale (préservation et économie des ressources, réduction des résidus de construction, de rénovation et de démolition, émissions de gaz à effet de serre, etc.). Dans un contexte de lutte contre les changements climatiques, d'épuisement des ressources et de dépassement progressif de toutes les limites planétaires, le réemploi de bâtiments (même sans valeur patrimoniale) s’impose comme une pratique à mettre de l’avant, à condition de lever certains obstacles.
Environnement
Les avantages du réemploi de bâtiments sont particulièrement importants en termes environnementaux. Pour certains, il est au cœur d’une approche de développement durable liée à l’environnement bâti visant à réduire les impacts directs et indirects de la construction, notamment sur la consommation d’énergie et de ressources naturelles (Yong, 2012). Les décisions immobilières réellement durables doivent tenir compte non seulement des besoins immédiats, mais aussi des potentiels changements à venir (Bullen et Love, 2009).
Économie d’énergie
Une étude du National Trust for Historic Preservation (2011) a comparé l’impact du réemploi de bâtiments par rapport à la démolition suivie d’une reconstruction, à l’aide d’une analyse du cycle de vie. La construction d’un bâtiment requiert une énergie en dehors du chantier, entre autres pour l’extraction et le transport des matériaux, qu’on appelle l’énergie intrinsèque. Cette énergie est plus grande dans le cas d’une construction à neuf. Ainsi, même en gagnant 30 % d’efficacité énergétique, 35 à 50 années sont nécessaires pour compenser l’énergie intrinsèque d’un nouveau bâtiment par rapport à un bâtiment existant. Plus largement, le National Trust for Historic Preservation a évalué que pour une nouvelle construction, même dans un scénario d’efficacité énergétique 30 % supérieure à celle du scénario de base, entre 10 et 80 années sont nécessaires pour compenser ses impacts environnementaux, par rapport à un bâtiment réemployé, dépendant du type de bâtiment et de conversion opérée [1].
Économie de ressources naturelles
Les matières résiduelles provenant de la construction, la rénovation et la démolition dans le domaine du bâtiment comptaient pour 28 % du total des matières résiduelles éliminées en 2019 au Québec (Recyc-Québec, 2023). Si les bâtiments ont une énergie intrinsèque, ils peuvent également être considérés comme un stockage de matériaux et même un puits de carbone dans le cas de matériaux biosourcés comme le bois. Les démolir pour construire en neuf met une pression supplémentaire sur l’extraction de ressources naturelles. Les efforts dans le domaine du bâtiment durable peuvent être contrecarrés et la soutenabilité de l’environnement bâti, de ce fait, amoindrie (van Bueren et de Jong, 2007).
Réduction des coûts
Dans leurs prises de décision, les autorités municipales n’ont la plupart du temps que les analyses coûts-bénéfices commandées par les promoteurs immobiliers, lesquelles prônent bien souvent la démolition pour des raisons économiques individuelles et à court terme. Or, ces analyses ne tiennent habituellement pas compte des externalités: les coûts qui découlent de telles décisions et reviennent ultimement à l’ensemble de la collectivité.
Qui plus est, il peut s’avérer économiquement avantageux pour un promoteur de réemployer un bâtiment plutôt que d’opter pour la démolition-reconstruction. Selon Shipley, Utz et Parsons (2006), le coût de la rénovation au mètre carré peut être moins élevé que la construction neuve dans certains cas, en particulier dans les domaines résidentiel et institutionnel. De plus, un des avantages de la rénovation est la possibilité d’un phasage qui permette de garder des locataires durant les travaux et ainsi éviter les désagréments liés à une solution d'hébergement transitoire. Cet avantage est évidemment conditionnel à l'ampleur des travaux nécessaires et des techniques employées pour les réaliser.
Même si l’amélioration de la performance environnementale d’un bâtiment peut générer des coûts supplémentaires, les économies subséquentes permettent de rapidement rentabiliser ces investissements (Bullen et Love, 2009).
Coopérative d'habitation Station No 1, dans Hochelaga-Maisonneuve (Montréal) – Source: Vivre en Ville
Patrimoine
La protection du patrimoine bâti est un autre argument en faveur du réemploi des bâtiments. Cette notion a pris de l’importance au cours des dernières décennies, en particulier dans une optique de développement durable. Comme le stipule d’entrée de jeu la Loi québécoise sur le patrimoine culturel, dont fait partie le patrimoine bâti, son objectif est «de favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine culturel, reflet de l'identité d'une société, dans l'intérêt public et dans une perspective de développement durable». La conservation du patrimoine peut générer de nombreuses retombées sociales, en particulier en ce qui a trait à l’identité collective, pourvu qu’il s’agisse d’un processus dynamique qui ne fait pas des richesses patrimoniales des objets figés dans le temps ou isolés du flux de la vie urbaine (Ville de Montréal, s.d.). Dans cette optique, un bâtiment réemployé doit être adapté pour s’intégrer au reste de l’environnement bâti et participer à son évolution. Le réemploi d’un bâtiment participe également à la revitalisation de son milieu d'implantation. Il peut faire l’objet d’une occupation temporaire et transitoire en attendant sa valorisation. Depuis quelques années, les exemples se multiplient, à l’instar de la Cité-des-Hospitalières, au pied du mont Royal à Montréal.
Exemples
Le Phénix (Montréal)
Les bureaux de la firme d’architecture Lemay ont élu domicile dans un ancien entrepôt dans l’arrondissement du Sud-Ouest, traditionnellement composé de quartiers industriels. Lemay a ainsi profité d’une localisation écoresponsable au cœur d’un quartier dense et bien desservi par le réseau de transport en commun. Le bâtiment a été réemployé selon les certifications LEED Platine et Fitwel.
Le Phénix, bâtiment occupé par les bureaux de la firme d’architecture Lemay – Source: Lemay
Technopôle Angus (Montréal)
Dans le cadre de la création du quartier Angus, soit sur les anciens ateliers de production et d’entretien du matériel ferroviaire du Canadien Pacifique à Montréal, la Société de développement Angus a décidé de rappeler le passé du site en conservant quelques éléments, dont le bâtiment central du pôle commercial du quartier. Ce réemploi a permis de réduire l’impact environnemental du projet immobilier tant du point de vue de l’énergie intrinsèque des bâtiments que de la production de gaz à effet de serre ou d’émanations acides (Trusty, 2004).
Secteur commercial du quartier Angus à Montréal – Source: Vivre en Ville
Condition de réussite et obstacles
Amélioration des pratiques
Afin d’éviter des démolitions inutiles lorsque des obsolescences (techniques, formelles, réglementaires, etc.) se présentent, il importe de baser les décisions sur des analyses des coûts globaux intégrant l’ensemble du cycle de vie des bâtiments. Or, dans cette analyse, des besoins individuels et sociétaux s’affrontent souvent. À cet égard, Kohler et Yang (2007) suggèrent une approche basée sur la capacité de survie du bâtiment et de ses parties. Il s’agit d’évaluer une espérance de vie au bâtiment raisonnable du point de vue individuel pour le promoteur, tout en s’assurant que les éléments au fort potentiel de survie à ce cycle de vie soient facilement adaptables par la suite, dans le cadre d’un réemploi.
Pour l’heure, les idées sous-jacentes aux modèles issus des mouvements moderne et postmoderne ne s’intéressent qu’à la construction de bâtiments neufs (Kohler et Hassler, 2002). Sans doute n’est-ce pas étranger au fait que plusieurs architectes voient encore le réemploi de bâtiments comme moins prestigieux (Bullen et Love, 2011). D’autre part, les principaux obstacles au réemploi des bâtiments selon les promoteurs sont le niveau élevé d’incertitude lié à cette pratique, les contraintes liées au code du bâtiment et aux règlements municipaux, les exigences en matière de protection du patrimoine et la difficulté à trouver des professionnels qualifiés (Shipley, Utz et Parsons, 2006). Enfin, les promoteurs n’ont pas avantage à tenir compte des externalités, entre autres les coûts environnementaux.
Réunir les expertises
Le décloisonnement des pratiques et des expertises est de plus en plus mis de l’avant dans différentes sphères de la société. La construction ne fait pas exception et c’est particulièrement important dans le cas du réemploi des bâtiments. Un tel chantier peut s’avérer plus complexe que ne l’est la construction neuve, d’où l’importance pour un promoteur de combiner au sein même de son équipe plusieurs expertises. Comme le mentionne le promoteur de l’ensemble résidentiel Selby, à Montréal, cela lui permet de relever de multiples défis techniques et de gagner en efficacité.
Le rôle des gouvernements
Pour s’assurer que le réemploi d’un bâtiment fasse partie des options considérées et que, le cas échéant, l’opération soit une réussite, les politiques et les règlements sont essentiels, notamment pour internaliser les coûts environnementaux. Une attention particulière doit être portée à leur coordination, la prise en compte des barrières à leur application, et la combinaison des règlements avec des incitatifs (NTHP, 2011; van Bueren et de Jong, 2007). De plus, pour répondre au manque de professionnels qualifiés, il est impératif que des programmes de formation soient mis en place et que les organisations qui s’activent déjà en ce sens au Québec soient soutenues dans leurs efforts.
[1] L’étude du National Trust for Historic Preservation est basée sur des scénarios de sept différentes rénovations (bâtiment commercial, entrepôt transformé en édifice à bureaux, bâtiment à usages mixtes, école primaire, maison unifamiliale, bâtiment multilogements, entrepôt transformé en bâtiment multilogements) dans quatre différentes villes américaines (c.-à-d. Chicago, Atlanta, Phoenix et Portland). Seul le cas de la transformation d’un entrepôt en bâtiment multilogements s’avère peu avantageux par rapport à la démolition et la reconstruction sur l’ensemble de ses impacts environnementaux.
Références
BULLEN, Peter, et Peter LOVE (2011). «Factors Influencing the Adaptive Re-use of Buildings». Journal of Engineering, Design and Technology, vol. 9, no. 1, p. 32-46.
DROUIN, Martin (2012). «De la démolition des taudis à la sauvegarde du patrimoine bâti (Montréal, 1954-1973)». Urban History Review / Revue d’histoire urbaine, vol. 41, no. 1, p. 22-36.
DUBOIS, Martin (2004). Recyclage architectural à Québec. Sainte-Marie (Québec): Les publications du Québec, 159 p.
KOHLER, Niklaus, et Uta HASSLER (2002). «The Building Stock as a Research Object». Building Research & Information, vol. 30, no. 4, p. 226-236.
KOHLER, Niklaus, et Wei YANG (2007). «Long-term Management of Building Stocks». Building Research & Information, vol. 35, no. 4, p. 351-362.
LAFERRIÈRE, Christine (2007). Le détail architectural à la rencontre de l’ancien et du nouveau dans des projets de recyclage. Étude de réalisations de trois firmes québécoises. Mémoire de maîtrise, Université Laval. [PDF] 186 p.
MERLIN, Pierre, et Françoise CHOAY (2009). Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement. Paris: Presses universitaires de France, 963 p.
NTHP [NATIONAL TRUST FOR HISTORIC PRESERVATION] (2011). The Greenest building: Quantifying the environmental Value of building reuse. [PDF] 94 p.
RAMSING, Liliana P. (2009). Nordkraft. Aalborg University, School of architecture, design and Planning.
RECYC-QUÉBEC (2023). Bilan 2021 de la gestion des matières résiduelles au Québec. Québec sans gaspillage. [PDF] 5 p.
SHIPLEY, Robert, Steve UTZ et Michael PARSONS (2006). «Does Adaptive Reuse Pay? A Study of the Business of Building Renovation in Ontario, Canada». International Journal of Heritage Studies, vol. 12, no. 6, p. 505-520.
TRUSTY, WAYNE B. (2004). Renovating vs. Building New: The Environmental Merits. Athena Institute. 10 p.
VAN BUEREN, Ellen, et Jitske DE JONG (2007). «Establishing Sustainability: Policy Successes and Failures». Building Research & Information, vol. 35, no. 5, p. 543-556.
VILLE DE MONTRÉAL (s.d.). Énoncé d’orientation pour une politique du patrimoine: Rapport du Groupe conseil. Ville de Montréal. [PDF] 40 p.
YONG, Robert A. (2012). Stewardship of the Built Environment: Sustainability, Preservation, and Reuse. Washington, Covelo et Londres: Island Press, 233 p.
Galerie Photos
VIVRE EN VILLE (2013). Réemploi des bâtiments. Carrefour.vivreenville.org
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Date de publication 7 décembre 2013Date de mise à jour 10 février 2025
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