Défis du vieillissement en aménagement
Le vieillissement de la population est un phénomène en pleine croissance. Si nombre de personnes aînées sont encore actives aujourd’hui, l’éventualité qu’elles perdent de leur autonomie ou qu’elles soient touchées par une incapacité pose un défi d’aménagement pour leur permettre, notamment, de continuer à se déplacer en toute sécurité. Le vieillissement de la population exige que les collectivités s’ajustent sur le plan de l’offre résidentielle, de transport et de services. Très peu de municipalités sont prêtes à répondre adéquatement à ces besoins aujourd’hui, ce qui présente une opportunité d’améliorer et de rendre plus durables les milieux de vie, pour tous.

Le contexte de vieillissement démographique
L'ensemble des baby-boomers auront atteint 65 ans ou plus en 2030, tandis que l’espérance de vie ne cesse de progresser. | Source: Québec. ISQ, 2018
De plus en plus de Québécois font partie du groupe très diversifié des «personnes aînées». En 2021, la population de 65 ans et plus représentait 21 % de la population totale du Québec, alors que ce pourcentage atteindra 26 % en 2036, selon les prévisions (Québec. ISQ, 2023).
Le vieillissement intervient de manière inégale sur le territoire. Certaines régions connaissent un vieillissement démographique accéléré (p. ex. Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine: 29 % de personnes aînées en 2021), tandis que d’autres (p. ex. Nord-du-Québec: 9 % de personnes aînées en 2021) sont composées d’une population plutôt jeune (Québec. ISQ, 2023). La proportion de personnes aînées varie en outre au sein des régions et même au sein des quartiers (Séguin, Apparicio et Negron-Poblete, 2012). Les municipalités auront donc à tenir compte de ces différentes réalités dans leurs interventions d’aménagement et leur gestion.
La spécificité des besoins des personnes aînées dans l'aménagement
La catégorie «personnes aînées» regroupe une grande diversité des profils. Les réalités sont très différentes selon l’âge, le genre, le statut socioéconomique et les capacités et incapacités de chaque individu. Les besoins et les contraintes évoluent par ailleurs avec l’avancée en âge (changement de la composition du ménage à cause du décès du conjoint, problèmes de santé, incapacités, etc.), avec des conséquences importantes sur les municipalités.
Besoins de logement
Contrairement aux idées reçues, seules 3,9 % des personnes aînées sont hébergées dans le système public (ressources intermédiaires, ressources de type familial ou CHSLD), alors que la majorité d’entre elles vivent à domicile (CRV et CAMF, 2016), où elles souhaitent vieillir.
Lorsque ce n’est plus possible, le déménagement devient une préoccupation importante pour une personne aînée si sa communauté n’offre pas de milieu de vie ou de logement correspondant à ses besoins, ou si les logements adaptés ne sont pas abordables (Simard, 2018; CRV et CAMF, 2016; Séguin et collab., 2017). Le défi est majeur en milieu rural et en région, où l’offre de logement est moins diversifiée qu’en milieu urbain, surtout pour les populations qui ont des besoins particuliers ou qui sont en perte d’autonomie (CRV et CAMF, 2016).
Besoins de mobilité
Beaucoup de personnes aînées sont susceptibles de conduire pour se déplacer, puisque 74 % d’entre elles détiennent un permis de conduire (Société de l’assurance automobile du Québec. Adapté par ISQ, 2023). Cette proportion baisse toutefois avec l’âge: elle passe à 40 % chez les personnes de 85 à 89 ans, puis à 15 % chez les personnes de 90 ans et plus.
Les Citébus de Rimouski. | Source: Vivre en Ville
Avec l’âge, les personnes aînées ont tendance à réduire les distances parcourues en voiture et à fréquenter des lieux plus près de leur domicile (Lord et Després, 2011). L’absence de commerces et de services du quotidien dans le milieu de vie a des conséquences en matière d’isolement social et de santé pour les personnes aînées en perte d’autonomie (Mercille, 2013; OMS, 2007).
L’accessibilité des destinations et la qualité des parcours s'avèrent cruciales pour cette tranche de la population. Cela soulève des questions quant à la sécurité, à la continuité et à la convivialité des parcours, mais aussi quant à l’offre de transport collectif, qui est largement conçue pour répondre aux besoins de la population active et en santé. Trois améliorations permettraient de répondre aussi aux besoins de toute cette clientèle: améliorer l’accessibilité économique (p. ex. avec des tarifs réduits) et la convivialité du transport en commun (p. ex. avec des autobus à niveau) et augmenter la fréquence en dehors des heures de pointe, puisque les aînés ont tendance à se déplacer davantage à d’autres moments de la journée.
Besoins de services et d'activités
La demande des personnes âgées concernant les commerces et les services diffère de celles d’autres groupes d’âge. Les personnes aînées ont tendance à parcourir de plus courtes distances, surtout lorsqu'elles ne conduisent plus. Il est donc essentiel de tenir compte de la localisation des activités. Le manque d’épiceries et de restaurants à distance de marche ou encore l’absence de services de livraison constituent des obstacles pour elles. Certaines préfèrent acheter de plus petites quantités à la fois et visitent ces commerces plus souvent. L’offre de proximité, avec des petits et des moyens formats de magasins ou de services publics, est donc la plus adaptée pour ce groupe d’âge. En particulier, la question de l’accès aux établissements de santé (CLSC, hôpital, etc.) et aux pharmacies acquiert une importance prépondérante pour les personnes aînées.
Mobilier urbain au centre-ville de Victoriaville. | Source: Rues principales
Les personnes aînées étant en grande majorité retraitées, elles sont nombreuses à souhaiter pratiquer des loisirs qui ne soient pas nécessairement liés à la consommation. Malgré leur présence plus faible sur la marché de l’emploi, on oublie souvent qu’elles peuvent jouer un rôle actif dans la société, notamment par l’implication citoyenne, l’engagement bénévole, l’aide qu’ils apportent à la famille et aux proches, et qu’ils ont un impact sur le succès des commerces, l’animation des espaces publics et la cohésion sociale.
Besoins de confort et de sécurité
La qualité de l’environnement urbain, et notamment son niveau de confort et de sécurité, joue aussi un rôle important dans la réalité des personnes aînées. Le risque de vivre un inconfort lié, par exemple, à l’absence de bancs publics, de toilettes publiques ou d’ombre dans un espace public, peut limiter les sorties et contribuer à l’isolement. Il en est de même de la sécurité réelle et perçue d’un environnement, liée par exemple à la circulation automobile, à la fréquentation du lieu ou à la criminalité (Buffel et collab., 2012). Toutes ces questions relèvent de l’aménagement des espaces publics et de la planification des équipements et des services offerts à la population.
Les municipalités sont encore peu préparées à répondre au vieillissement
Les implications du phénomène de vieillissement en matière d’aménagement du territoire sont encore méconnues ou sous-estimées et risquent de prendre un grand nombre de municipalités par surprise.
L'adaptation des municipalités au enjeux démographiques
Un peu plus de dix ans après le lancement de la démarche Municipalité amie des aînés (MADA) en 2008, plus de 900 municipalités et MRC ont entrepris de l’appliquer à leur territoire (MADA, 2020). Le volet aménagement urbain fait partie de la démarche, mais la complexité de sa mise en œuvre et les freins liés aux changements de pratique font en sorte qu’il est plus difficile d’intervenir dans ce domaine. Il est essentiel d’arrimer les différentes stratégies et politiques publiques et l’aménagement du territoire et de développer un «réflexe aîné·es» lors de la planification du territoire et des infrastructures et de l’analyse des projets immobiliers.
Des tendances d'aménagement peu favorables aux personnes aînées
Planification du territoire
L’étalement urbain, l’éparpillement et l’éloignement des commerces et des services, l’aménagement en fonction de l’automobile et ses différentes implications (p. ex. la difficulté d’offrir un réseau de transport en commun efficace, le débit et la vitesse automobiles, le nombre et la longueur des déplacements) créent des milieux de vie peu favorables à un vieillissement actif et, de manière générale, aux personnes aînées.
Gestion des rues et de la mobilité
Le manque de convivialité des rues et des routes, voire l’oubli des déplacements actifs dans leur conception (absence de trottoir ou de traverse piétonnière, culs-de-sacs qui imposent des détours) dissuadent les gens de se déplacer à pied ou à vélo (Negron-Poblete et Séguin, 2018). Le temps de traversée aux lumières, la présence de bancs pour se reposer ou de places publiques pour se retrouver, le bon état des trottoirs et leur déneigement pour diminuer les risques de chute font toute la différence pour les personnes aînées en perte de mobilité. Enfin, lorsque conduire n’est plus une option, il est crucial que les personnes aînées puissent aussi compter sur une offre satisfaisante de transport collectif.
Spécialisation résidentielle
Tandis que la plupart des municipalités favorisent les projets résidentiels destinés aux familles, certaines se spécialisent dans les résidences pour personnes aînées. La question de la localisation de ces résidences sur le territoire de la municipalité est alors primordiale pour que leurs résidents et résidentes puissent combler leurs besoins (p. ex. achats, loisirs, rendez-vous médicaux) et vaquer à leurs occupations, tout en contribuant à l’animation de leurs quartiers et à la rentabilité des investissements de leur municipalité dans l’espace public et dans l’offre de transport de commun.
Les avantages d'une approche inclusive
Des espaces publics plus conviviaux ou des déplacements actifs non seulement possibles, mais agréables, sont autant d'éléments qui permettent aux personnes aînées de demeurer physiquement actives et impliquées dans leur communauté. La bonne nouvelle, c'est que toutes ces modifications du cadre bâti d'une municipalité améliorent la qualité des milieux de vie et profitent à l'ensemble de la population.
Références
BUFFEL, Tine, Chris PHILLIPSON et Thomas SCHARF (2012). «Ageing in urban environments: Developing "age-friendly" cities», Critical Social Policy, vol. 32, n° 4, p. 597‑617.
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CRV [CENTRE DE RECHERCHE SUR LE VIEILLISSEMENT] et CAMF [CARREFOUR ACTION MUNICIPALE ET FAMILLE] (2016). Cahier d'information et de sensibilisation: habitation pour aînés. [En ligne] 71 p.
LORD, Sébastien, et Carole DESPRÉS (2011). «Vieillir en banlieue nord-américaine. Le rapport à la ville des personnes âgées», Gérontologie et société, vol. 34, n° 136, p. 189‑204. [En ligne]
MADA [MUNICIPALITÉS (& VILLES) AMIES DES AÎNÉS] (2011). «MADA au Québec», Municipalités (& Villes) amies des aînés au Québec. [En ligne]
MAROIS, Guillaume, Sébastien LORD et Paula NEGRON‑POBLETE (2018). «The residential mobility of seniors among different residential forms: Analysis of metropolitan and rural issues for six contrasted regions in Québec, Canada», Journal of Housing for the Elderly, vol. 32, n° 1, p. 73‑98.
MERCILLE, Geneviève (2013). Environnement alimentaire local et son association avec les habitudes alimentaires de personnes âgées. Thèse de doctorat, École de santé publique, Faculté de médecine, Université de Montréal. [PDF] 239 p.
NEGRON‑POBLETE, Paula, et Anne‑Marie SÉGUIN (2018). «L'usage généralisé de l'automobile chez les personnes âgées: choix ou contrainte?», dans Le vieillissement sous la loupe. Entre mythes et réalités, sous la dir. de Véronique Billette, Patrik Marier et Anne‑Marie Séguin, Québec, Presses de l'Université Laval, p. 85‑94.
NEGRON‑POBLETE, Paula (2012). «Des environnements conçus pour répondre aux besoins des aînés: un défi à relever à plusieurs échelles spatiales», dans Vieillissement et enjeux d'aménagement: regards à partir de différentes échelles, sous la dir. de Paula Negron‑Poblete et Anne-Marie Séguin. Québec, Presses de l'Université du Québec, p. 1‑7.
OMS [ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ] (2007). Guide mondial des villes amies des aînés, Genève (Suisse), OMS. 78 p.
QUÉBEC. MADA [MUNICIPALITÉ AMIE DES AÎNÉS] (2020). «Programme de soutien à la démarche - Volet 1: Soutien à la réalisation de politiques et de plans d'action en faveur des aînés», Gouvernement du Québec. [PDF] 21 p.
QUÉBEC. ISQ [INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC] (2023). Portrait des personnes aînées au Québec, Québec, Gouvernement du Québec [PDF] 269 p.
QUÉBEC. ISQ [INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC] (2018). Panorama des régions du Québec, Québec, Gouvernement du Québec [PDF] 252 p.
QUÉBEC. ISQ [INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC] (2014). Perspectives démographiques du Québec et des régions, 2011‑2061, Québec, Gouvernement du Québec. [PDF] 121 p.
SÉGUIN, Anne‑Marie, et collab. (2017). Des besoins aux ressources: diversité des milieux et des stratégies déployées par les personnes âgées, Rapport de recherche, Programme actions concertées, Québec, Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). [PDF]
SIMARD, Julien (2008). «Politiques publiques et vieillissement: les mesures pour faciliter l’accès à des logements abordables sont-elles adéquates?», VRM: Le réseau de recherche et de connaissances sur la ville et l’urbain. [En ligne]
Galerie photos
VIVRE EN VILLE (2018). Défis du vieillissement en aménagement. Carrefour.vivreenville.org
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Date de publication 20 octobre 2018Date de mise à jour 10 février 2025
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