Vivre avec les inondations aux Pays-Bas et en Belgique

En septembre 2024, Vivre en Ville a accompagné une délégation québécoise dans une mission d’étude aux Pays-Bas et en Belgique. L’objectif était d’inspirer et d’outiller le milieu municipal et ses partenaires sur des approches innovantes en matière d’aménagement de milieux de vie exposés aux inondations. Bien que le contexte de gestion des inondations y soit bien différent de celui du Québec, notre équipe en a retiré plusieurs leçons inspirantes.

1. Une politique nationale ambitieuse et assumée

C’est le temps que s’est donné le gouvernement des Pays-Bas pour mettre en œuvre sa politique de réduction des risques liés aux inondations, appelée le Programme Delta (2015 - 2050). En Belgique, le Plan Sigma, pour la région flamande, s'étend sur 25 ans (2005-2030). Au Québec, le Plan de protection du territoire face aux inondations (PPTFI) a initialement été défini dans un horizon bien plus court de cinq ans (2020 - 2025).

C’est la cible minimale que les Pays-Bas souhaitent atteindre d’ici 2050 concernant la probabilité de mortalité due à une inondation derrière un ouvrage de protection, tel qu’inscrit dans le Programme Delta. La cible de protection est encore plus exigeante pour certains territoires où les dommages d’une inondation seraient particulièrement dévastateurs, par exemple un grand nombre de décès ou la destruction d’une infrastructure essentielle d’importance nationale.

Des projets aux fonctions et bénéfices multiples

Dans un contexte où chaque mètre carré de territoire est de plus en plus convoité pour répondre aux besoins agricoles, résidentiels et environnementaux, la polyvalence des milieux hydriques s’impose comme une avenue gagnante. Les Pays-Bas et la Belgique se démarquent particulièrement dans ce domaine. En intégrant des expertises variées lors de la conception des projets d’aménagement en zones inondables (urbanisme, agronomie, ingénierie, participation publique, écologie, etc.), ils parviennent brillamment à concilier différents usages sur un même territoire. Ce principe de multifonctionnalité des espaces est aussi bien retrouvé au sein des surfaces servant à accueillir les crues que pour les ouvrages de protection face aux inondations.

2. Une conciliation réussie des usages dans les espaces rendus aux cours d’eau

À la suite des inondations de 1993 et 1995, les Pays-Bas ont révisé leur Plan Delta en optant pour une approche intégrée basée sur l’aménagement du territoire, donnant naissance au programme Room for the River (ou «Ruimte voor de Rivier» en 2005 ). Avec plus de 30 projets le long de quatre cours d’eau majeurs - la Maas (la Meuse), le Rijn (le Rhin), l’IJssel (l’Yssel) et le Waal (le Wahal) - ce programme a permis de redonner de l’espace aux rivières, générant des bénéfices multiples : restauration des plaines inondables, création de zones tampons propices à la biodiversité, aménagement de sites récréatifs, etc. Pour y parvenir, certaines digues ont été abaissées ou reculées, des plaines inondables ont été élargies et des canaux ont été creusés, permettant d’augmenter la capacité des rivières à accueillir les crues sans mettre les milieux bâtis à risque.    

Espaces inondables à usage agricole

Pâturage en zone inondable par la ferme Wijnhoverhof grâce au projet Ooijen-Wanssum. Source : Vivre en Ville, 2024.

Dans le cadre du projet intégré Ooijen-Wanssum, le secteur où un bras du fleuve Maas a été rouvert est devenu une réserve naturelle d’environ 540 hectares, ayant une probabilité d’être inondée une fois tous les 10 ans. En plus d’être accessible au public, elle est utilisée pour le pâturage des vaches par la ferme Wijnhoverhof. Cela permet de maintenir le niveau de végétation bas, et ainsi de maintenir la capacité du site à gérer les crues.

Culture en zone inondable de récurrence 25 ans au sein du polder d’Overdiepse. Source : Vivre en Ville, 2024.

Dans le cadre du projet de dépoldérisation du secteur d’Overdiepse, les fermes sauvegardées au sein du polder ont été surélevées sur des monticules. Leurs champs de culture situés en contrebas se situent maintenant en zone inondable de récurrence 25 ans et des indemnisations sont prévues en cas de pertes agricoles.

Espaces inondables à usage récréatif

L’île créé par la création du nouveau canal (le Spiegelwaal) offre un parc unique en milieu urbain à Nimègue. Source : Vivre en Ville, 2024.

L’ouverture du nouveau bras de la rivière Waal a permis la création d’une nouvelle île fluviale accueillant dorénavant un parc urbain de 120 hectares librement accessible et intégrant des éléments archéologiques et historiques dans sa conception. Ce parc est maintenant utilisé par la population de Nijmegen (Nimègue) pour des activités récréatives et des événements culturels ou sportifs.

Infrastructures flottantes pour la pratique d’activités nautiques sur le Spiegelwaal à Nijmegen (Nimègue). Source : Vivre en Ville, 2024.

Les eaux du nouveau canal accueillent dorénavant toutes sortes d'activités sportives et de loisirs. Un championnat néerlandais de canoë style libre a par exemple été organisé en décembre 2023.

3. Des infrastructures de gestion des inondations multifonctionnelles

Aux Pays-Bas et en Belgique, de nombreux ouvrages de protection contre les inondations et de gestion durable des eaux pluviales sont conçus pour être multifonctionnels et intégrés dans leur environnement, servant à la fois de lieux de vie, d’aires récréatives, de surfaces agricoles ou de symboles patrimoniaux. Parmi les projets visités par la délégation, on retrouve un muret de protection intégré à un bâtiment historique situé sur le littoral ou encore un bassin de stockage des eaux pluviales servant de parc de planche à roulettes.  Dans plusieurs cas, les ouvrages présentent une valeur expérientielle additionnelle à leur valeur de protection, renforçant le patrimoine culturel de la collectivité.

En fermant l’enceinte du château grâce au nouveau mur, ce monument protège la ville face à la montée des eaux

Stocke temporairement le surplus d’eau de l’étang dans une cavité située à 15 mètres de profondeur

Muret de protection face aux inondations intégré au parc et au stationnement souterrain

Collecte des eaux de ruissellement du stationnement et gouttières intégrées à l’espace pour le ruissellement des toits

Source : Vivre en Ville, 2024

4. Du temps et une place centrale attribuée à la population

Source : Vivre en Ville, 2024

Les Pays-Bas et la région flamande de la Belgique mobilisent à la fois des approches descendantes (top-down) et ascendantes (bottom-up) dans leur processus décisionnel. Les intentions et les objectifs des gouvernements sont clairs et immuables. En revanche, les moyens pour les atteindre sont à construire avec les communautés locales. Les citoyennes et les citoyens sont co-architectes des projets et sont considérés individuellement lors des négociations. Les étapes de dialogue et de co-construction avec la population sont prises en compte dans la planification des projets.

Cas des polders de Kruibeke, Belgique

Projet des polders de Kruibeke. Source : Vivre en Ville, 2024 

Au cours des siècles, en Flandre, de nombreuses étendues d’eau ont été gagnées sur la mer par l'endiguement et le drainage de marais, créant ainsi des polders. Dès la fin des années 1970, dans le cadre de la première mouture du Plan Sigma, des opérations de dépoldérisation ont été menées pour mieux gérer les inondations fluviales en permettant à l’eau de s’y déverser. Par ailleurs, l'expansion du port d’Antwerpen (Anvers) et la construction d’infrastructures le long du Schelde (l’Escaut) au début des années 2000 ont rendu nécessaire la restauration des polders de Kruibeke pour compenser les pertes écologiques. Avant le projet, 70 agriculteurs habitaient ces terres. Dorénavant, ils ne sont plus qu’une vingtaine à y avoir accès, le site ayant été racheté par les autorités publiques.

Conditions de succès :

• Une seule et même personne assurant le rôle de médiateur entre la population et le gouvernement

• Long processus de négociation individuelle, on évite l'expropriation

• Local accessible en tout le temps implanté directement sur le site pour favoriser le dialogue avec la population

Cas du polder d’Overdiepse, Pays-Bas

Polder d’Overdiepse. Source : Vivre en Ville, 2024

Le polder d’Overdiepse est situé dans la province de Noord-Brabant (Brabant-du-Nord) dans les municipalités de Waalwijk et de Geertruidenberg. Jusque dans les années 1970, le secteur, régulièrement inondé, était utilisé pour le pâturage du bétail et le fauchage du foin par les agriculteurs vivant hors du polder. À partir de 1975, celui-ci est devenu habité en raison de l'amélioration du drainage du secteur. Près de 550 hectares se sont retrouvés protégés des inondations par une digue. En 2003, on y comptait une population de 94 personnes ainsi que seize entreprises laitières et fermes agricoles et une porcherie. Lorsque le gouvernement a démarré sa recherche de sites potentiels d’élargissement de lits de cours d’eau au début des années 2000 dans le cadre du programme Room for the River, le polder d’Overdiepse a été sélectionné en raison de sa situation hydrographique et de sa faible population.

Conditions de succès :

• Plan de réaménagement de la zone inondable élaboré par les fermiers eux-mêmes et approuvés par le gouvernement

• La province de Limbourg a assuré le rôle de médiation

• 10 ans de négociation avec les propriétaires, un à un 

• Local accessible en tout temps et implanté proche du site pour favoriser le dialogue avec la population

À retenir

Les exemples des Pays-Bas et de la Belgique montrent qu’avec une vision à long terme, des investissements soutenus, un souci pour la multifonctionnalité des espaces et une gouvernance combinant les approches ascendantes et descendantes, il est possible de transformer les contraintes des milieux inondables en opportunité de créer des milieux de vie complet pour les communautés. Ces projets inspirants démontrent qu’il est possible de vivre avec les inondations de manière résiliente et harmonieuse, tout en offrant des espaces polyvalents au service de la collectivité.