Le temps des fêtes arrive à grands pas, mais avant, c’est la féérie des budgets municipaux, un exercice passionnant que mènent au même moment les 1100 municipalités québécoises.
La semaine dernière, le dépôt de son budget par la Ville de Lévis a fait sourciller plusieurs observateurs. Lévis augmente en effet de 6% la taxation des immeubles de six logements, c’est-à-dire plus du double de ce qui est prévu pour les maisons unifamiliales! Le maire Lehouillier parle d’une mesure équitable, mais taxer la densité, c’est pourtant tout le contraire.
Taxer la densité est une propension récurrente du milieu municipal. C’est une décision éminemment critiquable, pour trois raisons.
Premièrement, on va à l'encontre du principe utilisateur-payeur. Fournir des services publics coûte moins cher en milieu dense qu’en milieu étalé; il serait donc légitime, au contraire, d’y alléger les taxes. Deuxièmement, taxer la densité, ça veut généralement dire taxer les moins riches, qui habitent souvent dans les secteurs plus denses d’une municipalité. Pour l’équité, on repassera! Troisièmement, densifier nos milieux de vie est la seule possibilité d’accueillir plus de monde sans détruire les milieux naturels et agricoles. Taxer la densité, c’est taxer la vertu.
La taxe foncière est basée sur la valeur. Plus votre habitation a de la valeur, plus votre compte de taxe est élevé… en principe. En pratique, des municipalités ont décidé de taxer plus fortement la haute densité. Donc, à valeur égale, un logement dans un immeuble coûte plus cher de taxes qu’une maison unifamiliale. Rien à voir avec ce que vous coûtez en services municipaux: on vous taxe davantage sans aucune raison objective.
Pourquoi des villes font-elles cela? Tout simplement parce que politiquement, c’est plus facile. Les immeubles sont souvent occupés par des locataires qui ne reçoivent pas de compte de taxes, qui est envoyé aux propriétaires. Les taxes et leur augmentation sont entièrement refilées aux locataires, mais le lien est moins direct entre le portefeuille et le conseil municipal.
Taxer la densité, c’est une astuce pour ne pas payer le prix politique de l’augmentation des dépenses municipales.
Alors, si taxer la densité est une mesure injuste et préjudiciable pour l’environnement, comment équilibrer les budgets municipaux tout en favorisant des choix responsables?
Il y a un an, la Loi sur la fiscalité municipale a été modifiée dans l’objectif, affirmé par le gouvernement et soutenu par le milieu municipal, de donner au monde municipal la latitude nécessaire pour mettre en place une fiscalité locale plus adaptée aux défis contemporains. Cette révision est l’une des mesures stratégiques de la récente Politique nationale de l'architecture et de l'aménagement du territoire.
Lors du passage de Vivre en Ville en commission parlementaire, nous avons salué l’intention d'ouvrir la porte à l’écofiscalité, mais appelé à l’inscrire plus clairement dans la loi. Car plus de souplesse ne mène pas forcément à de meilleurs choix.
C’est malheureusement ce que l’on a déjà observé lors de précédentes réformes de la fiscalité municipale. En 2016 et 2018, le gouvernement Couillard a accordé aux villes plusieurs nouveaux pouvoirs (redevance de développement, pouvoir général de taxation puis redevances réglementaires). Comme plusieurs, nous avons salué ces réformes, tout en exprimant certaines craintes qui se sont concrétisées.
En effet, à plusieurs endroits, les redevances de développement ont été appliquées sans égard au secteur ni à la forme du développement, sans aucun encouragement à la densification. Une redevance uniforme, le contraire de l’écofiscalité, avec pour résultat d’augmenter les coûts de l’habitation.
Il est pourtant possible de faire beaucoup mieux avec la fiscalité municipale. Je vous invite à écouter en rediffusion notre récent webinaire sur le sujet.
L’été dernier, le comité scientifique qui conseille le gouvernement sur les changements climatiques rappelait dans un rapport que l’écofiscalité demeure peu utilisée au Québec et recommandait notamment «l'instauration de mesures aux niveaux municipal et régional». Quelles sont les chances qu’il soit entendu et suivi?
Réponse optimiste: des villes commencent à utiliser le pouvoir général de taxation et les redevances réglementaires de manière très intéressante. Pensons notamment à Laval, qui impose une redevance sur les surfaces imperméables, à Montréal, qui taxe les grands stationnement hors rue ou encore, à Victoriaville, qui ajuste sa taxation foncière en fonction du coefficient d’occupation du sol.
Réponse pessimiste: faire usage des nouveaux pouvoirs fiscaux pourrait nuire au lieu de guérir. Par exemple, en taxant la densité!
Chose certaine, la réforme fiscale qui mènera l’ensemble de nos collectivités vers la sobriété territoriale reste à faire. D’ici là, les municipalités volontaires, bien outillées et qui s’en donneront le mandat ont toutefois les moyens d'innover.
Mon conseil pour les Villes qui veulent prendre le virage de l’écofiscalité: allez-y simplement avec un seul critère, celui de moins taxer la densité. Les formes urbaines denses permettent de protéger l’environnement, d’optimiser les infrastructures, de préserver le territoire agricole. Elles forment des milieux plus inclusifs, favorables à la santé, propices aux solidarités. C’est en réduisant le taux de taxes dans les milieux plus denses qu’on envoie le bon signal.
En 2025, nous continuerons de travailler avec les collectivités québécoises pour ouvrir la voie, y compris sur le plan de la fiscalité, aux transformations nécessaires du territoire et de nos milieux de vie. D’ici là, bonne préparation de budgets et joyeux temps des fêtes!
SAVARD, Christian (2024). Envoyer les bons signaux avec la fiscalité municipale. Vivre en Ville. Vivreenville.org.
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Auteur Christian Savard
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Date de publication 18 décembre 2024Date de mise à jour 15 janvier 2025
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