Crise de l’habitation: on ne peut pas s’en tirer sans abondance
J’avais comme idée initiale de profiter de la période estivale pour faire une chronique légère, du genre «Mes 5 noyaux villageois préférés du Québec, le 4e va vous surprendre!» ou «Tournée des meilleures poutines de la ligne orange», mais la crise de l’habitation qui continue à faire des ravages, toujours plus aiguë au tournant du 1er juillet, m’a rappelé à l’ordre.

Parce que même si on est 4, 5, 6 ans en retard, il y a enfin une véritable effervescence d'idées et d’initiatives, privées, publiques ou communautaires, qui ouvrent un peu l’espace pour commencer à faire des choses différemment en habitation.
Ce bouillonnement amène parfois des chocs entre les différentes solutions proposées – selon nos valeurs, notre analyse ou nos intérêts, chacun de nous croit que c’est sa solution qui doit être priorisée. Il arrive que le conflit d’intérêt ou la mauvaise foi soient manifestes, et d’autres fois, la mise en place de mesures très structurantes ou la mise à l’échelle des innovations les plus porteuses ont trop de barrières pour les prioriser face à l’urgence d’agir. Ce débat me réjouit et m’inquiète à la fois. Parce que du débat peut surgir des voies fortes à suivre, mais on peut aussi paralyser l’action.
Si vous suivez Vivre en Ville, vous savez que nous croyons fermement qu’une sortie de crise durable en habitation nous demande de nous attaquer, de manière à la fois radicale, pragmatique et synchronisée, aux différents problèmes systémiques de l’habitation. Donc pour nous, il n’y pas qu’une, que deux ou que trois solutions, il y en des dizaines qui doivent être appliquées presque en même temps. Je ne peux que vous inviter à lire ou relire «Portes ouvertes», notre plate-forme en matière d'habitation qui détaille tout ça.
Mais si on nous tord un bras et qu’on nous oblige à mettre un aspect en haut de la pile, il nous apparaît incontournable de planifier l’abondance de l’offre globale en habitation. Parce que sans abondance, toutes les autres solutions deviennent plus compliquées et coûteuses à mettre en place, en plus d'empêcher la mobilité résidentielle. En effet, en situation de pénurie, la spéculation et la spirale inflationniste qui en découle viennent, par l’augmentation des coûts, anéantir la capacité des gouvernements et des ménages d’investir et de faire des choix.
Le meilleur indicateur d’une offre abondante en habitation est bien sûr le taux d'inoccupation. Plus il est faible, moins il y a de logements disponibles. Malheureusement, malgré toutes les études et les cas empiriques observés, il s’en trouve encore plusieurs pour minimiser l’importance de ce facteur ou carrément le nier.
Pourtant, si on regarde juste ici au Québec, comme le démontre cet article et le graphique ci-dessus, le taux d'inoccupation est directement corrélé au rythme d’augmentation des loyers. Il semblerait que ce soit autour de 7% que l’impact commence à se faire sentir positivement de manière plus marquée pour les locataires (on est à un peu plus de 2% en ce moment à Montréal); en-deçà de ce seuil, l’offre supplémentaire permet néanmoins d’atténuer l’emballement des prix. Dans des villes comme Austin ou Denver, où les booms récents dans la construction ont mené à des taux d'inoccupation de 10%, les loyers ont baissé fortement!
Est-ce dire que la solution est de laisser le secteur privé agir comme il l’entend, et que la crise de l'habitation sera réglée? Non, parce que le privé n’a pas intérêt à maintenir une trop grande abondance de l’offre, et il diminuera le nombre de mises en chantier. C’est ici que doit intervenir, de manière très importante, l’offre de logement à but non lucratif. Un marché moins en surchauffe est le moment idéal pour donner les moyens aux promoteurs sociaux, communautaires et coopératifs de construire. Ainsi, ce secteur, en plus d’offrir des logements aux plus vulnérables, devient en quelque sorte un régulateur du marché immobilier!
Petite parenthèse à ce moment-ci pour revenir sur deux facteurs à considérer sur la question de l’offre en habitation.
D’abord, qui dit offre dit nécessairement demande, donc l’augmentation du nombre de ménages joue un rôle dans le taux d'inoccupation. Pour le Québec et le Canada, c’est en partie par l’immigration que le nombre de ménages augmente. Ceci appelle à une politique d’immigration prévisible pour éviter des chocs sur le marché qui risquent d’aggraver la crise. Mais rappelons que certaines régions qui reçoivent peu d'immigrants font aussi face à une pénurie de logement importante, on ne peut donc pas regarder que de ce côté.
De plus, la crise de l’habitation ne doit pas être un prétexte pour diminuer la qualité de nos milieux de vie ou détériorer l’environnement. La diminution de la qualité architecturale ou la performance environnementale, des compromis sur la mixité des activités ou l’étalement urbain ne peuvent pas être des solutions. La réponse à la crise de l’habitation ne peut pas être d’amplifier d’autres crises, d'autres problèmes. Il faut se donner les moyens de construire plus vite et mieux.
Une fois cela dit, rappelons que bien sûr que non, l’augmentation de l’offre (et le filtrage) ne pourront pas tout régler. Il faut continuer de travailler sur les coûts de construction, il faut un registre des loyers pour faire fonctionner notre système d'encadrement, il faut une fiscalité qui rend beaucoup moins rentable la simple possession immobilière (la financiarisation pour certains), il faut beaucoup plus de logements à but non lucratif. Il faut tout ça. Mais dans un marché avec un faible taux d'inoccupation, tout ça ne sera pas suffisant et le marché va créer ses propres brèches, permettant à plusieurs de s’enrichir indûment et continuant d’en faire souffrir beaucoup d’autres de l’absence d’options.
Soyons clair, combattre l’augmentation massive de l’offre, même celle du privé, est une attitude dangereuse qui prolongera la crise qui continuera d’affecter les plus vulnérables et une part grandissante de la population. Ce n’est pas un positionnement progressiste. On ne peut pas se permettre d’attendre de devenir Vienne et son 50% de logement à but non lucratif, c’est maintenant qu’il faut agir, et planifier une abondance de l’offre est vital. Parce que sans abondance, je le répète, ce seront toujours les mieux nantis qui vont s’en tirer et profiter du système.
Tranquillement, cette nécessité de l’abondance commence à percoler dans les administrations publiques, même si peu osent encore se donner un objectif clair de taux d'inoccupation. Soulignons ici l’importante percée qu’on retrouve dans le nouveau Plan métropolitain d’aménagement et de développement de la Communauté métropolitaine de Montréal, où l’objectif de 5% de taux d'inoccupation est une cible assumée. C’est la première fois qu’une institution publique majeure remet en question le très arbitraire «équilibre à 3%». Enfin et bravo!
Pour finir, je vais le redire encore une fois pour que ce soit encore plus clair: non, l’abondance de l’offre en habitation ne règlera pas à elle seule la crise. Vivre en Ville sera là pour les autres batailles à gagner, mais dans le contexte actuel, on ne peut se permettre de garder des taux d'inoccupation aussi bas. Il faut tout faire.
Et si vous n’avez qu’une chose à faire pour vous faire réfléchir sur le sujet, je ne peux que vous inviter encore une fois à lire «Portes ouvertes».
SAVARD, Christian (2025). Crise de l’habitation: on ne peut pas s’en tirer sans abondance. Vivre en Ville. Vivreenville.org.
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Auteur Christian Savard
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Date de publication 15 juillet 2025Date de mise à jour 16 juillet 2025
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