Nouveaux pouvoirs municipaux: des baguettes magiques ou des cadeaux empoisonnés?

Crise climatique, crise de la mobilité, crise de l’habitation: les municipalités québécoises ont un important rôle à jouer dans plusieurs des défis auxquels nous faisons actuellement face. Évidemment, les villes ne peuvent pas agir seules. Dans ces domaines, nous avons besoin de cohérence et d’exemplarité gouvernementale, et aussi d’argent. Sur ce dernier point, tout le monde l’a dit, le dernier budget est pire que décevant.
Avant de laisser tomber les municipalités sur le plan budgétaire, le gouvernement leur a fait deux cadeaux législatifs, qui renforcent notamment leurs pouvoirs face à la crise de l’habitation. S’agit-il de baguettes magiques ou de cadeaux empoisonnés? Un peu les deux. Mais bien utilisés, ils pourraient nous aider à augmenter l’offre en habitation, tout en atténuant la crise climatique et en renforçant nos cœurs de villes et villages. [Vivre en Ville travaille d'ailleurs à des outils pour guider les municipalités dans l'utilisation de ces nouveaux pouvoirs. Restez à l'affût!]
Sauter par-dessus la réglementation en urbanisme pour construire plus d’habitations
Commençons par le projet de loi 31 sur l’habitation. Un rendez-vous raté et une occasion manquée d’impulser une réelle sortie de crise. Comme d’autres, nous avons déploré la fin de la cession de bail, qui entraînera un déclin encore plus prononcé de la mobilité des ménages et une hausse moyenne du prix des loyers au Québec. Nous avons aussi regretté le refus du gouvernement de prendre en charge le Registre des loyers dont nous assumons actuellement la tenue, et d’en faire un véritable outil de maintien de l’abordabilité du logement. Espérons que ce n’est que partie remise (et d’ici là, allez inscrire votre loyer sur le Registre!).
À cette occasion, la ministre de l’Habitation a donné aux municipalités un « super-pouvoir »: celui de déroger à la réglementation en urbanisme et à l’approbation référendaire pour autoriser la construction de plus de logements. Concrètement, dans toutes les municipalités de plus de 10 000 habitants où le taux d’inoccupation des logements locatifs est inférieur à 3 % (actuellement, c’est le cas pratiquement partout), le conseil municipal pourra autoriser, au cas par cas, la construction d’un bâtiment de minimum trois logements, même si la réglementation actuelle l’interdit, et sans que la population puisse s’y opposer par voie de référendum.
Nous l’avons expliqué dans Portes ouvertes et la science le valide: l’augmentation de l’offre en habitation est indispensable pour une sortie de crise durable. Accélérer l’émission de permis et augmenter les densités aux bons endroits sont donc de bonnes avenues pour sortir de la crise. Toutefois, le super pouvoir donné aux villes par la ministre ouvre la porte au favoritisme et au manque de cohérence. La planification en urbanisme existe pour se donner une vision collective et partagée du devenir d’une collectivité. Elle permet au secteur immobilier d’œuvrer dans un contexte prévisible et équitable. Comme l’Ordre des urbanistes, nous accueillons donc cette dérogation générale avec inquiétude.
L’autre problème, c’est que ce « super-pouvoir » risque d’être nettement insuffisant. Pour résorber réellement le manque d’habitations via l’augmentation des densités, le gouvernement aurait pu suivre l’exemple de la Nouvelle-Zélande, qui a autorisé de plein droit les bâtiments résidentiels jusqu’à 6 étages aux abords des réseaux de transport en commun, partout au pays. À défaut, il revient aux villes de faire preuve de vision.
Une municipalité pourrait, par exemple, identifier d’emblée sur son territoire les secteurs où elle entend augmenter les densités permises – en choisissant, bien sûr, le centre-ville, les abords du transport en commun, les cœurs de quartier à consolider. Cette information devrait être rendue publique et faire l’objet d’une consultation citoyenne, pour ouvrir le dialogue sur la densification, informer des objectifs poursuivis et mieux identifier les conditions d’une intégration réussie des projets immobiliers. Dans ces conditions, il pourrait sortir du bon de ce nouveau pouvoir accordé aux villes pour accélérer la construction de nouveaux logis.
À noter que chaque municipalité devra rendre public un rapport annuel de l’utilisation de ce pouvoir (et des situations où elle a refusé de l’utiliser). Cette disposition de la loi est à la fois un garde-fou essentiel – elle incite à faire des choix éclairés, défendables devant l’électorat – et un frein puissant face auquel il est fort probable que plusieurs élues et élus refusent d’utiliser leur nouveau super-pouvoir.
Taxer selon ses propres critères (lesquels?)
Autre projet de loi (le n° 39), autre nouveau pouvoir, celui-ci en matière de fiscalité municipale. La ministre des Affaires municipales a considérablement élargi la marge de manœuvre des municipalités, en leur permettant de fixer des taux de taxation différenciés. Une ville pourra taxer à différents taux ses différents secteurs, et aussi fixer des taux de taxation en fonction de caractéristiques des bâtiments (notamment, le nombre de logements).
Nous avons salué cette flexibilité qui ouvre la porte à une fiscalité plus équitable et plus responsable. Malheureusement, au lieu de définir dans la loi des critères objectifs, basés sur les principes d’équilibre des finances publiques, d’équité, d’internalisation des coûts et de développement durable, la ministre a laissé dans la cour des élues et élus locaux la responsabilité de définir les paramètres de cette fiscalité locale modernisée. Alors, que devraient décider les villes?
Pour faire de la fiscalité municipale un levier d’action face à la triple crise climatique, de l’habitation et de la mobilité, il faut prendre le virage d’une écofiscalité bien calibrée. Les municipalités devraient donc fixer des taux de taxation plus bas pour les types d’activités et les secteurs dont la consolidation va à la fois aider les finances publiques et préserver l’environnement.
Par exemple, il est urgent d’alléger les taxes des centres-villes et des rues principales, qui font face à bien des problèmes alors que leur vitalité est essentielle à celle des collectivités. Dans une perspective d’équité, les villes devraient taxer beaucoup moins les petits commerces (qui rapportent d’ailleurs beaucoup plus de taxes par pied carré) et beaucoup plus les power centers (qui contribuent à dévitaliser les centres-villes, coûtent une fortune en infrastructures routières et ont un bilan carbone désastreux). Il faudrait aussi taxer moins aux abords du transport en commun, et plus dans les secteurs éloignés, qui coûtent trois fois plus cher par porte en services publics.
Le laisser-aller ministériel est d’autant plus regrettable qu’on a déjà vu des pouvoirs fiscaux utilisés à mauvais escient. Par exemple, bien des villes imposent plus fortement les bâtiments multilogements, alors même que les personnes qui payent ces taxes ont souvent des revenus plus faibles, que leur fournir des services publics coûte moins cher et que la densité est meilleure pour l’environnement! Je ne veux donner de mauvaises idées à personne, mais il peut être tentant d’alléger les taxes des propriétaires et des secteurs où le revenu moyen est plus élevé – où, on le sait, le taux de participation aux élections est nettement plus élevé.
Alors, ces nouveaux pouvoirs municipaux, baguettes magiques ou cadeaux empoisonnés? Cela va dépendre de ce qu’en feront les municipalités, bien sûr. Malheureusement, le pire est possible. Heureusement, ces dernières années, de plus en plus d’élues et d’élus municipaux font preuve de leadership et de sens des responsabilités. Je ne crois pas aux contes de fées ni aux histoires de sorcières, mais je crois à l’engagement et à la compétence. Misons là-dessus!
SAVARD, Christian (2024). Nouveaux pouvoirs municipaux: des baguettes magiques ou des cadeaux empoisonnés?. Vivre en Ville. Vivreenville.org.
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Auteur Christian Savard
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Date de publication 13 mars 2024Date de mise à jour 13 mars 2024
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