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Rues à sens unique: une entrave pour le transport en commun

Souvent utilisées comme un moyen de faciliter la circulation et de gagner de l’espace pour réaménager l’emprise publique, les rues à sens unique constituent un défi majeur pour le  transport en commun. La séparation que les sens uniques imposent aux parcours de transport en commun circulant dans chaque direction réduit la zone dans laquelle les arrêts sont accessibles à une même distance de marche.

Source: Vivre en Ville

Zone de desserte apparente ou réelle?

Au premier coup d’œil, un réseau de transport en commun comprenant des parcours séparés selon les directions peut donner l’impression de mieux couvrir le territoire. C’est pourtant le contraire qui se passe, et c’est sans doute l’effet le plus significatif, et le plus pernicieux à la fois de la séparation des parcours. 

Plus de personnes ont accès à un arrêt de transport en commun, c’est indéniable. Mais il s’agit là d’une desserte apparente ou symbolique, pour reprendre les termes de l’auteur et consultant Jarret Walker. Et comme souvent, les apparences sont trompeuses: peut-on réellement parler d’accès au transport en commun, si l’arrêt auquel on a accès ne permet de se déplacer que dans une direction? Évidemment, non. 

Pour connaître la zone de desserte réelle, il faut: 

1. Établir les zones couvertes selon chaque direction pour distance de marche donnée:

Zone de desserte accessible à 250 mètres de marche des arrêts en direction est (à gauche) et ouest (à droite). Source: Vivre en VilleZone de desserte accessible à 250 mètres de marche des arrêts en direction est (à gauche) et ouest (à droite).
Source: Vivre en Ville.

2. Déterminer le chevauchement de ces zones, pour identifier les secteurs qui ont accès aux deux directions.

Zone de desserte accessible à 250 mètres de marche des arrêts en direction est (à gauche) et ouest (à droite).
Source: Vivre en Ville

Cet exemple théorique représente un parcours avec des arrêts espacés de 300 mètres. La distance seuil utilisée pour la zone de desserte est de 250 mètres. Cela correspond à une durée de marche de 3 à 6 minutes selon les capacités des personnes et les conditions de déplacement.

Alors que la desserte apparente (sans égard aux directions accessibles) laisse croire que 8,4 kilomètres de rues sont couverts, la desserte réelle ne représente que 2,9 kilomètres. Tout ça, même si une trame de rues orthogonale offre les conditions les plus favorables à une séparation de parcours.

Évidemment, plus les rues qui accueillent les deux directions d’un même parcours sont éloignées, plus l’effet est dévastateur pour l’accessibilité du transport en commun, puisque la zone de desserte réelle diminue jusqu’à disparaître. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, lorsque les parcours sont séparés de 400 mètres, seule une petite zone totalisant 200 mètres de rues entre les deux arrêts a accès aux deux directions à moins de 250 mètres de marche. 

Si l’ensemble du parcours était offert sur la même rue dans les deux directions, la zone de desserte réelle couvrirait 5,2 kilomètres de rues, soit une zone 1,8 fois plus étendue. Autrement dit, faire circuler les parcours sur des rues à sens unique conduit ici à une réduction de 44 % de la zone de desserte réelle. La différence est donc énorme.

Mais qu’en est-il dans la «vraie vie»?

De nombreux parcours de bus empruntent des rues à sens unique, au Québec comme ailleurs. Chaque fois, il en résulte une desserte moins efficace pour les personnes qui les utilisent. 

De nos jours, des décisions d’aménagement urbain et de planification d’autres modes de transport peuvent remettre en question les réseaux de transports en commun existants. C’est notamment le cas de projets destinés à améliorer la couverture végétale ou à mieux aménager l’espace pour la mobilité active, souvent en cherchant à préserver également des cases de stationnement. 

À Montréal, on peut penser à la piétonnisation de l’avenue du Mont-Royal, où les parcours (dans les deux directions) ont été déplacés sur le boulevard Saint-Joseph à plus de 450 mètres des arrêts habituels. Mais pour illustrer le phénomène lié à la mise en place d’un sens unique, allons voir du côté de Québec, avec un projet contre lequel Vivre en Ville se mobilise depuis le printemps 2023, et que notre organisation a ouvertement dénoncé en décembre 2023.

Saint-Vallier Ouest à Québec: la vertu apparente au détriment du transport collectif

La rue Saint-Vallier Ouest traverse le cœur du quartier Saint-Sauveur à Québec. Il s’agit de la principale voie commerciale de ce quartier, parmi les plus denses et les plus défavorisés de la ville. Quatre parcours de bus empruntent actuellement la rue Saint-Vallier Ouest entre le boulevard Charest Ouest et la rue Marie-de-l’Incarnation, deux artères majeures pour le quartier et pour la ville. Les parcours offrent un total d’environ 100 passages quotidiens, dans chaque direction. Les arrêts de bus sur cette rue sont espacés de 200 à 300 mètres. 

Desserte actuelle sur la rue Saint-Vallier Ouest à Québec.
Source: Vivre en Ville / Fond: Ville de Québec

Dans le cadre d’un projet de réaménagement majeur, la Ville de Québec propose de convertir ce tronçon de la rue Saint-Vallier Ouest en sens unique pour augmenter le potentiel de plantation, élargir les trottoirs et conserver du stationnement sur rue. Le dernier projet présenté à la population repose sur le maintien du service en direction ouest, et sur une séparation des parcours en direction est sur différentes rues: 

  • Parcours 1 et 19: rue de Montmartre, rue Saint-Luc, avenue des Oblats, rue de Mazenod;
  • Parcours 80: avenue des Oblats, rue de Mazenod;
  • Parcours 85 (pointe seulement): rue de l’Aqueduc, avenue des Oblats, rue de Mazenod.

Desserte prévue sur la rue Saint-Vallier Ouest à Québec.
Source: Vivre en Ville, d’après les informations fournies par la Ville / Fond: Ville de Québec

Lors de la séance d’information du 7 décembre 2023, la Ville de Québec présentait une évaluation sommaire de l’impact de la conversion en sens unique sur le transport en commun, illustrant une perte de 3 % de couverture, ce qui impliquerait une légère augmentation de la distance de marche. 

Source: Ville de Québec, Séance d’information du 7 décembre 2023 [PDF]

Le problème, c’est que cette évaluation:  

  • Ne considère pas la desserte combinée liée au nombre de parcours passant aux arrêts. Ainsi, la Ville considère qu’avoir accès à un ou deux parcours est équivalent à avoir accès à trois ou quatre parcours. C’est pourtant très différent. Lorsque plusieurs parcours empruntent les mêmes rues sur une partie du trajet, la desserte combinée augmente les options pour les personnes qui utilisent le transport en commun, particulièrement pour de courts trajets. Il est possible de se présenter à un arrêt, et de prendre le premier bus qui passe dans la direction souhaitée, sans se soucier du parcours.
  • Se base sur une distance seuil de 400 mètres. Une telle distance peut représenter plus de 6 minutes de marche pour des personnes se déplaçant lentement et difficilement (handicap, douleur, déplacement avec enfants, etc). Même s'il s'agit d'une distance communément utilisée pour déterminer l'accessibilité du transport en commun, elle limite l'interprétation pour une desserte locale telle que celle offert sur la rue Saint-Vallier Ouest.

Une analyse plus rigoureuse fait ressortir un impact bien plus important

Pour tenir compte de l’impact réel de la conversion à sens unique,  il faut donc considérer les secteurs couverts par chaque parcours, dans chaque direction. 

La desserte actuelle est symétrique dans les deux directions, il n’y a donc pas de différence entre la desserte réelle et la desserte apparente. Avec une distance seuil de 250 mètres (3 à 6 minutes selon les capacités des personnes) à partir des arrêts de transport en commun, environ 16 kilomètres de rues du quartier sont couverts

Pour la desserte prévue

  • Si on fait fi du nombre de parcours auxquels les personnes ont accès, la desserte semble augmenter dans le projet de réaménagement par la Ville de Québec par rapport à la situation actuelle. Mais il s’agit bien là uniquement d’une desserte apparente
  • Si on souhaite faire une véritable comparaison permettant de comprendre l’impact réel du projet de réaménagement, il faut faire ressortir la desserte réelle. Cela signifie déterminer quels sont les secteurs qui ont accès à tous les parcours, dans les deux directions selon la distance seuil établie, en suivant les étapes précédemment énoncées:
1. Établir la zone couverte par chaque parcours en direction est (distance seuil de 250 m).
2. Déterminer le chevauchement de ces zones, pour illustrer les secteurs qui ont accès à tous les parcours en direction est.
3. Déterminer la desserte réelle, soit le chevauchement de la couverture en direction est avec celle en direction ouest.

L’illustration de la desserte réelle, tenant compte de l’accès à l’ensemble des parcours dans les deux directions illustre deux choses: 

  • le déplacement de la desserte vers le sud du quartier (un secteur déjà desservi par d’autres parcours non illustrés);
  • le rétrécissement de la zone de desserte réelle, particulièrement  sur la portion ouest du secteur étudié, lié à la séparation des parcours sur des rues assez éloignées les unes des autres.

Desserte projetée réelle (deux directions, en rose foncé) et apparente (accès partiel aux parcours ou à une seule direction, en rose pâle) selon une distance seuil de 250 m des arrêts. Rue Saint-Vallier Ouest, Québec. Source: Vivre en Ville / Fond: OpenStreetMaps

Une nette réduction de la couverture est observable, particulièrement au cœur du secteur. La desserte proposée n’atteint que 10,3 kilomètres de rues, à comparer avec la desserte actuelle de 16 kilomètres de rues (1,6 fois plus). Autrement dit, faire circuler les parcours sur des rues différentes conduit ici à une réduction de 36 % par rapport à la desserte actuelle.

Au-delà de la couverture, une complexité potentiellement rédhibitoire

Cette analyse se concentre principalement sur la question de l’accessibilité physique au transport en commun dans les deux directions. Mais les impacts d’un sens unique sur le transport en commun vont au-delà de cet aspect. 

Les rues à sens unique rendent les itinéraires vers les arrêts plus complexes, particulièrement pour certaines personnes (enfants, personnes aînées, personnes à mobilité réduite, ou ayant des difficultés cognitives ou de lecture, etc.). Il faut connaître le réseau, savoir s’orienter dans les rues et pouvoir s’y déplacer facilement et avec confiance, ce qui n’est pas donné à tout le monde. 

En plus d’être rallongés, les trajets à parcourir entre les arrêts peuvent emprunter des rues moins adaptées pour les déplacements à pied, particulièrement dans certains quartiers centraux, en raison de l’étroitesse des trottoirs, de leur encombrement, ou de leur entretien, en hiver.  Ces difficultés additionnelles limitent encore plus le confort et l’accessibilité universelle du service, encore une fois, au détriment des plus vulnérables. 

Pris ensemble, ces obstacles peuvent facilement décourager le recours au transport en commun, entraînant plus d’isolement ou une utilisation plus fréquente de la voiture pour se déplacer, ce qui accentue les inégalités en matière d'accessibilité. Sur le terrain, sans avoir besoin d'une analyse complexe, les personnes qui utilisent le service arrivent d'ailleurs à la même conclusion, comme l'illustre le vox-pop ci-dessous. 


Miser sur la proximité et la desserte combinée

L'enjeu de la réduction de la zone de desserte dans les deux directions, conjugué à la complexité accrue pour accéder aux arrêts, souligne l'importance de questionner sérieusement le recours à des rues à sens unique, y compris pour des projets à priori vertueux de verdissement ou d’aménagement d’infrastructures cyclables

Pour favoriser l'inclusivité et l'efficacité des transports en commun, il est crucial de promouvoir un réseau de transport en commun facile à comprendre, et dont l’accessibilité en fait une solution de mobilité de choix pour l’ensemble de la population. Pour y parvenir, il faut assurer une desserte concentrée et efficace dans les deux directions sur les voies les plus structurantes des milieux de vie. 

C’est en faisant de l'accessibilité et de la multiplication des options de déplacement des priorités que les villes pourront garantir un accès équitable à la mobilité durable pour l'ensemble de la population.

Notice bibliographique recommandée :

VIVRE EN VILLE (2024). Rues à sens unique: une entrave pour le transport en commun. Carrefour.vivreenville.org

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