Quatre ans après le début de la pandémie, on peut dire que le transport en commun est l’un des pans de notre société qui a beaucoup souffert du coronavirus.
Replaçons-nous en 2018, 2019.
Partout au Québec, les sociétés de transport battaient des records d’achalandage, tellement que les réseaux débordaient et qu’on déplorait la « classe sardine » endurée soir et matin par les usagers et usagères.
Le nouveau gouvernement de la CAQ, malgré un programme maigre sur le plan environnemental, se montrait toutefois ambitieux pour le transport en commun, promettant de grands projets pour Gatineau, l’Est de Montréal, la Montérégie, Laval, Québec. Il affichait même l’objectif d’investir autant dans le transport en commun que dans le réseau routier et reconnaissait l’importance d’en revoir le cadre financier. Bref, de manière générale, les normes sociales et politiques étaient très favorables aux transports en commun.
Cinq ans plus tard, ce fantastique momentum s’est effrité. Entre la diminution de l'achalandage liée au télétravail, un certain repli sur le domicile et l’explosion des coûts de main-d’œuvre et de construction, le transport en commun est passé, dans la tête de certains décideurs, d’un projet de société à un boulet à traîner. Cette léthargie atteint évidemment la population qui se mobilise moins, qui embarque moins.
Regardons les choses en face pour nous préparer à mieux rebondir; parce que le rebond est possible.
Du côté des grands projets, je l’ai déploré avec plusieurs partenaires au début du mois de février, nous sommes devant un vaste champ de ruines. De tous ceux que la CAQ avait annoncés, aucun n’est sur les rails. Seul le prolongement de la ligne bleue se poursuit. La dernière idée pour relancer les grands projets? La mise sur pied d’une Agence gouvernementale dédiée à leur construction et dotée de pouvoirs équivalents à ceux obtenus par CDPQ-Infra afin de diminuer les coûts et d’accélérer le rythme de réalisation.
Même au niveau municipal, il y a des motifs d'inquiétude sur la place qu’on donne au transport en commun. La tendance, très intéressante, de faire plus de place au verdissement et à la mobilité active, se fait malheureusement parfois au détriment du transport en commun. Que ce soit à Montréal, sur le mont Royal, ou à Québec, sur la rue Saint-Vallier, le transport en commun et l’accessibilité qu’il assure aux plus vulnérables est considéré comme quantité négligeable, un obstacle à tasser.
Le volet interurbain du transport en commun souffre lui aussi. Depuis la pandémie, la fréquence diminue un peu partout et des lignes disparaissent, alors que 85 % du service a disparu en 40 ans. Pour l’attractivité des régions, pour la mobilité des plus jeunes et des plus âgés, ces coupures de services sont dramatiques.
Le chantier sur le financement de la mobilité, ouvert en 2019, n’a encore débouché sur rien de concret. Pire: alors que le gouvernement avait reconnu le problème budgétaire du transport en commun, on revient en arrière en mettant plutôt la priorité sur la réalisation d’audits des sociétés de transport.
Bref, si vous trouvez que ça roule mal, ce n’est pas qu’une impression. Alors, comment rebondir?
L’explosion actuelle des coûts d'infrastructures fait en sorte que l’ambition de 2018, de lancer à court terme six grands projets de transport collectif, est probablement irréaliste. Tant qu’à créer une agence, tentons de bien faire les choses pour devenir aussi efficace que CDPQ-Infra.
À court terme, toutefois, il y a un projet à démarrer sans attendre: c’est le tramway de Québec. Je reste persuadé que CDPQ-Infra va arriver avec une proposition proche du projet initial, et il faudra alors « foncer », pour reprendre les mots de notre premier ministre.
Rebondir, c’est aussi organiser dès maintenant le développement en continu du transport en commun, dans une planification serrée des futurs projets de métro, de tramway, d’autobus. Il n’y aura sans doute pas de première pelletée de terre à Gatineau ou dans l’Est de Montréal dans la prochaine année, mais il faut que d’ici un an, ces projets soient concrètement planifiés.
Ce qu’on peut et doit faire, dès maintenant, c’est augmenter les heures de service et faire rouler au maximum les actifs. Depuis la pandémie, un peu partout, les fréquences ont diminué, des parcours ont été coupés, on est de retour dans la « classe sardine ». Dégrader le service, pourtant, c’est toujours rebuter des usagers potentiels. Ça incite même celles et ceux qui en ont les moyens à s’acheter une voiture, pour cesser de dépendre d’un réseau trop incertain, trop contraignant ou les deux. Arrêtons ça et changeons de cap au plus vite!
Soutenons les sociétés de transport pour augmenter les fréquences, aménageons des voies réservées pour éviter des retards coûteux et augmenter la fiabilité du service. Utiliser au maximum le matériel roulant dont on dispose, c’est ça la véritable optimisation du transport en commun!
Sur le plan budgétaire, on peut se réjouir de voir les villes se préparer à utiliser les nouveaux pouvoirs de taxation dont elles disposent depuis peu, et en particulier les frais d’immatriculation. Il y aura un coût politique à payer, mais cela va réduire leur dépendance face à Québec.
Enfin, pour rebondir, inspirons-nous de ce qui se fait ailleurs. Dans trois semaines, le Sommet Climat Montréal sera l’occasion d’entendre Bruno Bernard, président du Grand Lyon (un million et demi de personnes). Depuis plus de 20 ans, Lyon mise sur la mobilité durable et la consolidation urbaine, et ça fonctionne. La part modale du transport en commun augmente (moins de congestion). Celle de la marche aussi (plus de santé). Le taux de motorisation est en baisse (des économies pour les familles). Alors qu’elle disposait déjà de quatre lignes de métro, Lyon vient d’inaugurer deux nouvelles stations. Le développement massif du transport en commun passe aussi par le tramway (bientôt 10 lignes), l’autobus et des navettes fluviales, et le réseau cyclable continue également de se déployer.
Rappelons-nous que chaque année qui passe sans une offre de transport compétitive, c’est une année de développement urbain perdu pour la transition écologique.
À ce titre, travailler sur une trajectoire énergétique pour le Québec de 2050 oblige à voir les choses en face: il est tout simplement impossible d’atteindre nos cibles sans une augmentation massive de l’offre de transport en commun. Plusieurs spécialistes en énergie l’ont encore rappelé à l’occasion du Forum national de l’action climatique. Si le ministre Fitzgibbon persiste et signe en affirmant qu’il est inéluctable de diviser par deux le nombre de véhicules privés, c’est parce qu’il a bien compris que le Québec s’appauvrit en restant dépendant de la voiture. Un Québec plus riche, c’est un Québec avec plus de transport en commun.
Qui plus est, développer le transport en commun, c’est s’enrichir tout en donnant plus de possibilités aux plus vulnérables. Ça prend un bon réseau de transport en commun pour avoir accès aux meilleurs emplois, aux lieux d’éducation, pour participer pleinement au développement de la collectivité quand on n’a pas les moyens d’ajouter une voiture dans un budget serré (ou pas la capacité de la conduire). Donner le choix du transport en commun à de plus en plus de monde, c’est une mesure autant sociale qu’économique. Et les économies sont récurrentes, année après année!
En ce moment, certains semblent vouloir laisser tomber le transport en commun. Ce serait la pire chose à faire. Au contraire, il faut recréer le momentum prépandémique. En donnant le signal du développement, la machine va repartir, comme c’est le cas ailleurs, dans les juridictions qui ont gardé le cap.
Redressons la barre tout de suite pour faire des gains, sur tous les plans, dès demain.
SAVARD, Christian (2024). La tentation de laisser tomber le transport en commun. Vivre en Ville. Vivreenville.org.
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Auteur Christian Savard
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Date de publication 18 avril 2024
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