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Finissons-en avec le débat autour du contrôle des loyers

Vivre en Ville

Au cours de la dernière semaine, deux chroniques opposées ont tour à tour ramené la question de l’effet du contrôle des loyers sur la construction neuve sur la table: Ricardo Tranjan, dans les pages du Toronto Star, a plaidé en faveur d’un contrôle des loyers en proposant des études qui démontrent que ces lois n’ont pas les effets anticipés sur la construction neuve; et Muratza Haider et Stephen Moranis, pour le Financial Post, lui répondent pour lui proposer une interprétation différente de ces mêmes études.

Compte tenu de notre position favorable au contrôle des loyers - au Québec, avant tout sous la forme de l’institutionnalisation d’un registre des loyers - la deuxième de ces chroniques nous est présentée comme une preuve irréfutable que nos efforts vont nuire à une sortie de crise durable en habitation. Or, il n’en est rien: plutôt que de mettre fin au débat, les arguments présentés par MM. Haider et Moranis induisent plus de confusion que de clarté en instrumentalisant les études qu’ils citent.

Les études

Pour commencer, les études auxquelles Tranjan se réfère dans sa chronique ne sont pas des feuilles de chou: il cite en outre une étude longitudinale de 2020 produite par KPMG pour la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), comparant les différentes politiques de contrôle des loyers en vigueur dans certaines régions du Canada; et une étude comparative internationale de K. Kholodilin et S. Kohl parue dans les pages du International Journal of Housing Policy. 

Pour peu qu’on prenne le temps de les lire, chacune de ces deux études indique clairement que l’application de contrôle des loyers après une période d’exemption pour la construction neuve n’a aucun effet observable sur la cadence des mises en chantier. Bien que l’étude de Kholodilin et Kohl indique que dans l’ensemble, la présence de mesure de contrôle des loyers semble avoir un effet négatif sur la construction, cette conclusion ne fait pas la distinction entre les différents mécanismes et moyens de stabiliser les loyers, et la rigueur de leur travail démontre en fait que certaines modalités de contrôle des loyers sont parfaitement compatibles avec une participation active du secteur privé dans la construction neuve. C’est également la conclusion - nuancée et rigoureuse - atteinte par l’étude de KPMG, qui indique noir sur blanc: 

Contrary to expectations based on the literature, the analysis did not find evidence that rental starts were lower in rent control markets than in no rent control markets.

Les détails sont importants. S’il est vrai que certaines mesures étudiées ont eu un effet observable sur la construction neuve, comme par exemple les gels de loyers, tout indique que le type de contrôle en vigueur au Québec n’a aucun effet négatif. L’étude de Kholodilin et Kohl prend d’ailleurs le temps de signaler que parmi les territoires, mécanismes et périodes étudiées, le contrôle de seconde génération est spécifiquement unique dans la mesure où il ne semble pas avoir d’effet négatif sur la cadence de construction neuve:

A first observation is that the different combinations of regulation indices share a persistent negative coefficient sign (with the exception of second generation controls), but at low significance levels.

Cette distinction est cruciale. Au Québec, le seul type de contrôle en vigueur en est un de seconde génération: un contrôle appliqué seulement aux immeubles construits depuis un certain nombre d’années. Ça vaut d’ailleurs la peine de regarder les chiffres du Québec de plus près, puisqu’ils sont disponibles à travers les études et statistiques produites par la SCHL.

Les chiffres

Commençons par un exercice logique: si les territoires où un contrôle des loyers est appliqué voient un recul des mises en chantier, on devrait voir l’effet inverse dans les marchés sans contrôle, soit un plus grand nombre d’unités livrées. 

Or, il y a déjà quelque chose qui cloche: en dépit de ses mécanismes de contrôle des loyers relativement stricts dans le contexte canadien, le Québec n’a pas sous-performé à cet égard par rapport à l’Ontario ou l’ensemble du Canada, signalant seulement un mince écart ponctuel avec la Colombie-Britannique, principalement dans les années 90:

Source: SCHL

Par contre, cette série ne nous indique pas le type des unités livrées: il peut s’agir de condos, comme de maisons, comme d’unités locatives. Si on suit la logique selon laquelle les mesures de contrôle de loyer découragent la construction d’unités locatives, on devrait voir une proportion plus faible d’unités locatives au Québec que dans les autres provinces, toute proportion gardée, compte tenu de nos loyers historiquement plus bas.

 

Source: SCHL

La réalité est tout autre. Comme rapportée par l’étude de KPMG, les résultats sont contre-intuitifs: en dépit des loyers relativement bas du Québec et en combinaison avec son contrôle des loyers relativement exhaustif, le Québec livre plus d’unités sur le marché locatif, année après année, que l’Ontario et la Colombie-Britannique! 

 Source: SCHL

Ces chiffres ont de quoi nous faire réfléchir. Dans une lettre signée par 32 économistes américains en faveur du contrôle des loyers, on explicite que tout comme c’est le cas pour le débat entourant les effets du salaire minimum sur la création d’emplois, les modèles simples présentés en économie 101 ne sont pas en mesure d’expliquer les phénomènes observés dans le monde réel quant à l’effet du contrôle des loyers sur la construction neuve.

Nous méritons des réflexions à la hauteur des défis auxquels nous faisons face.

Le débat

La position de Vivre en Ville est claire. Un mécanisme de contrôle de loyer bien calibré est une mesure nécessaire mais insuffisante pour une sortie de crise durable en habitation. Notre feuille de route s’articule autour de quatre stratégies interdépendantes et complémentaires:

  • Créer un marché immobilier sans spéculation

  • Construire une abondance d’unités à but non lucratif

  • Décupler la productivité du secteur de l’habitation

  • Combler le déficit d’espace habitable dans les milieux durables

Le dernier point est important. Bien peu des interlocuteurs qui nous demandent de réviser notre position sur le contrôle des loyers prennent la juste mesure de notre proposition en habitation. Si la nécessité de construire plus fait aujourd’hui consensus, nous proposons en fait de dépasser la demande pour créer un cadre bâti dans lequel chaque ménage québécois trouvera facilement un chez-soi qui lui convient - une situation qui se matérialise avec un taux d’inoccupation autour de 7%. Nous venons d’ailleurs de contribuer à la production d’un rapport détaillant un plan de match pour construire plus d’un million d’unités au Québec, près des emplois, des services et des infrastructures de transport en commun, calqué sur les calculs du manque à gagner pour rétablir un contexte d’abordabilité. Nous espérons qu’il est clair que nous ne pouvons pas être à la fois en faveur et en défaveur de la construction neuve.

Profitons-en pour réitérer que la construction et la possession d’immeubles résidentiels sont des activités économiques distinctes. Les acteurs économiques qui récoltent des rentes produites par l’insuffisance d’unités verront ces profits fondre comme de la neige au soleil lorsque le marché tournera en faveur de la population, comme à Austin au Texas, là où un boom de construction soutenu a livré des milliers d’unités menant le taux d’inoccupation à 6,5%, les loyers demandés sont en baisse de 12,5% en moyenne entre 2023 et 2024

C’est ce que nous demandons pour le Québec. Nous invitons nos lecteurs et lectrices à se demander ce que les gens qui nous critiquent font pour le Québec de leur côté.

Notice bibliographique recommandée :

Adam MONGRAIN & SAVARD, Christian (2024). Finissons-en avec le débat autour du contrôle des loyers, Vivre en Ville. Vivreenville.org.

  • Auteurs Adam Mongrain , Christian Savard
  • Date de publication 20 mars 2024
  • Thème associé

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