Aménagement du territoire : une occasion à saisir
Pour ma chronique ce mois-ci, j'ai décidé de laisser la place à cette lettre ouverte de l'alliance ARIANE publiée le 8 mai dernier, dans La Presse. Parce que jamais il n'y a eu autant de personnes favorables et un contexte si propice à cette fantastique idée de faire de l'aménagement du territoire une priorité au Québec.
Après Saint-Jean-sur-Richelieu, Mont-Saint-Hilaire, La Macaza et plusieurs autres municipalités d’un peu partout au Québec, voilà que Victoriaville, Gatineau et Montréal appuient à leur tour la déclaration de l’alliance ARIANE pour une politique nationale d’aménagement du territoire (NDLR: depuis, la Ville de Laval s'est ajoutée à la liste des villes qui appuient la PNAT). Il s’agit là d’une fenêtre d’opportunité à saisir : les enjeux du domaine de l’aménagement, de la protection et de la mise en valeur du territoire suscitent un intérêt inédit.
Intérêt qui, rappelons-le, trouvait déjà écho, l’automne dernier, dans les plateformes électorales de la Coalition avenir Québec, du Parti québécois et de Québec solidaire qui proposaient toutes l’élaboration d’une telle politique nationale. Le Parti libéral du Québec avait lui aussi indiqué son ouverture à cette option.
Les inondations qui ont affligé plusieurs régions au cours des dernières semaines nous incitent également à réfléchir à nos choix d’aménagement.
Le ministre de l’Environnement Benoit Charette soulignait récemment qu’une politique nationale d’aménagement du territoire aiderait à mieux faire face à ce problème.
Une mobilisation citoyenne inédite
D’un bout à l’autre du Québec, les projets qui concernent les milieux de vie mobilisent comme jamais. Les citoyens de centaines de villes et villages exigent que leur conseil municipal agisse sans attendre pour prévenir et s’adapter aux changements climatiques. Partout, on prend conscience de l’importance de mieux protéger nos milieux naturels et agricoles.
À Québec, les consultations sur le réseau de transport collectif structurant ont fait déborder les salles. Les participants venaient massivement appuyer le projet proposé par l’administration municipale. Le devenir de notre patrimoine bâti préoccupe tout autant les Québécois qui sont nombreux à s’indigner du sort d’un nombre croissant d’édifices et de sites patrimoniaux menacés, démolis ou abandonnés.
Des signes encourageants
Parallèlement, des gestes concrets sont posés. Par exemple, en créant une fiducie d’utilité sociale agricole, CDPQ Infra, l’Union des producteurs agricoles, la Communauté métropolitaine de Montréal et la Ville de Brossard innovent pour freiner l’étalement urbain et remettre en culture des terres jusque-là menacées par l’urbanisation.
Un des bons coups, trop peu relevé, du budget déposé le 21 mars dernier est l’annonce de 320 millions de dollars dédiés, notamment, à la décontamination de terrains, à la construction d’infrastructures publiques, ainsi qu’à l’acquisition et à la mise en valeur de terrains stratégiquement situés dans plusieurs régions du Québec.
La forte volonté exprimée par le premier ministre François Legault et la ministre de la Métropole Chantal Rouleau pour la revitalisation de l’est de Montréal mérite elle aussi d’être soulignée. L’intention est claire : revoir l’ensemble de l’offre de transport en commun pour l’Est afin d’en faire un moteur pour la requalification de la rue Notre-Dame et de ses abords. On rêve d’un boulevard urbain dynamique et attrayant, véritable lien avec le centre-ville.
En fait, il y a longtemps que François Legault s’intéresse à l’aménagement du territoire. Déjà en 2013, dans son livre Cap sur un Québec gagnant, il proposait l’adoption « d’une politique moderne d’aménagement du territoire, ancrée dans la vallée du Saint-Laurent ». « L’avenir est aux villes attrayantes et aux milieux de vie de qualité », écrivait-il alors, posant sa vision d’une « vallée propre » de l’innovation qui mise sur la « consolidation du tissu urbain ».
Avec de tels projets et initiatives, le gouvernement contribuera à un développement plus intelligent sur le territoire en reconstruisant la ville sur elle-même au lieu de l’étaler en empiétant sur des milieux naturels ou agricoles.
Il n’en demeure pas moins que la cohérence et l’efficacité des interventions nécessitent une vision d’ensemble et l’établissement de règles communes.
Un espace de dialogue
Il y a un an, près de 150 leaders québécois se rassemblaient dans la capitale nationale pour réfléchir à l’avenir du territoire lors du forum « Savoir où on s’en va ». Les quatre principaux partis politiques y étaient représentés. Quelques mois plus tard, l’alliance ARIANE saluait l’inclusion d’une « politique nationale d’architecture et d’aménagement » dans la plateforme électorale de la Coalition avenir Québec.
Québec entame à présent d’importants chantiers qui auront un impact majeur sur l’aménagement du territoire, dont la négociation d’une nouvelle entente fiscale et budgétaire avec les municipalités.
Cette entente ne réglera pas, à elle seule, les problèmes qu’occasionne une fiscalité municipale trop dépendante des revenus fonciers. Elle devra s’inscrire dans une réflexion plus large pour mettre en place une fiscalité qui soutienne la concrétisation d’une vision cohérente de l’aménagement du territoire. En outre, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, a évoqué son intention de réviser la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme au cours du présent mandat.
Ces chantiers appellent à créer rapidement, entre l’État, les municipalités, la société civile et les experts, un espace de dialogue qui permettra que les changements soient à la hauteur des attentes. Doter le Québec d’une vision en matière d’aménagement du territoire serait un grand legs du gouvernement actuel aux prochaines générations. Dans cette optique, la tenue d’un sommet sur l’aménagement du territoire en vue de l’adoption d’une politique nationale permettrait de faire l’état de la situation et de dégager des consensus pour moderniser véritablement les pratiques et les moyens. ll s’agit d’une occasion qui doit être saisie.
* Signataires : Bernard Bigras, directeur général de l’Association des architectes paysagistes du Québec ; Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville ; Cynthia Boucher, présidente de l’Association des aménagistes régionaux du Québec ; Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal ; Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique de la Fondation David Suzuki ; Marcel Groleau, président général de l’Union des producteurs agricoles ; Marie-Odile Trépanier, professeure honoraire en aménagement et urbanisme, Université de Montréal ; Nathalie Dion, présidente de l’Ordre des architectes du Québec ; Renée Genest, directrice générale d’Action patrimoine ; Robert Cooke, vice-président de l’Ordre des urbanistes du Québec ; Ron Rayside, architecte et associé principal chez Rayside Labossière ; et Sylvain Perron, coordonateur du Mouvement Ceinture Verte
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Date de publication 14 mai 2019