Ambition climatique et pacte fiscal municipal
Le temps de la responsabilitéCes temps-ci, l’agenda climatique et l’agenda budgétaire jouent sur la même scène.
Côté jardin, cette semaine, François Legault et Valérie Plante seront tous les deux à l’ONU, dans le cadre du Sommet sur l'ambition climatique de l'Assemblée générale des Nations Unies, pour mettre en valeur leurs plans pour le climat. Plans qui font bonne figure à l’échelle nord-américaine, mais sont encore nettement insuffisants au regard de l'exigence de redoubler d’efforts pour empêcher le pire, dont nous avons eu un avant-goût pendant cet été infernal. C’est particulièrement vrai pour le gouvernement du Québec, qui possède la plupart des leviers pour agir.
Côté cour, depuis deux semaines, dans une chorégraphie bien connue de déclarations et contre-déclarations plus ou moins passives-agressives, les villes et le gouvernement ont entamé leur ballet de négociation afin de renouveler le pacte fiscal entre ces deux paliers de gouvernement.
Cette fois, on ne pourra pas mesurer le résultat de cette négociation à l’aune de l’argent et des concessions arrachées à l’un et aux autres. Le principal filtre doit être la lutte contre les changements climatiques. C’est l’occasion de sortir du sempiternel bras de fer Québec-municipalités pour mettre en place une véritable écofiscalité pour le monde municipal. Pour le climat, il faut changer le climat de négociation.
Le succès du pacte fiscal se mesurera à la capacité du gouvernement et des municipalités à s’allier pour mettre en place un programme climatique municipal au service du bien commun.
Pour y arriver, le gouvernement devra reconnaître qu’il existe, de la même manière qu’entre le fédéral et le Québec, un déséquilibre fiscal entre lui et les municipalités, et que celles-ci manquent de moyens pour tous les virages qu’elles doivent prendre en matière climatique. Il devra aussi reconnaître que les municipalités sont souvent les meilleures pour appliquer les solutions climatiques les plus fortes et les plus structurantes.
Les villes, elles, devront renoncer à des transferts sans condition. Je sais, c’est un bout difficile à avaler pour elles qui sont si jalouses de leur autonomie! Mais face à la menace climatique, nous ne pouvons pas avancer en ordre dispersé. Il faut une feuille de route commune, qui aide autant le gouvernement que les villes à atteindre leurs objectifs. Pas question de transformer des sommes de Québec en baisse de taxes foncières pour gagner les prochaines élections. Il faut une obligation de résultats, tout en laissant une latitude dans les moyens.
Pour réussir la transition climatique, les villes auront besoin de nouvelles sources de revenus. Une partie de l’argent nécessaire pourrait provenir de transferts du gouvernement du Québec, je pense notamment au Fonds vert, bien doté. Mais ces transferts ne pourront qu’être insuffisants. Il faudra impérativement regarder du côté de nouvelles sources de revenus.
Il est important de noter qu’avec la diminution des taxes scolaires et les récentes baisses d’impôt, il existe un espace fiscal pour les municipalités. Toutefois, après 20 ans à côtoyer le monde municipal, je suis persuadé qu’il sera difficile pour les villes d’utiliser pleinement cet espace fiscal.
La loi sur l’autonomie municipale de 2017 a donné aux villes un pouvoir général de taxation plein de potentiel, qu’elles utilisent très peu. Il est aisé de comprendre en partie pourquoi: elles sont en concurrence entre elles pour attirer citoyens et développement immobilier, ce qui tire tout le monde vers le bas. À cela s’ajoutent évidemment la difficulté politique de mettre en place de nouvelles mesures fiscales, et la complexité de leur mise en œuvre. Bref, tout porte à croire que laissées à elles-mêmes, c’est une minorité de villes qui utiliseront pleinement leurs outils fiscaux.
De fait, malheureusement, c’est l’étalement urbain qui demeure, pour de nombreuses municipalités, le principal vecteur de croissance de l’assiette fiscale. On se fabrique ainsi un mode de vie énergivore et de plus en plus dépendant de la voiture. Nous y perdons de belles terres agricoles et des milieux naturels précieux. Et les municipalités y gagnent, certes, des revenus immédiats, mais aussi de futures dépenses pour quand viendra le temps de refaire les infrastructures publiques.
On ne peut pas attendre que les villes se sortent, une par une, de cette spirale dans laquelle la plupart se savent prises. Le prochain pacte fiscal doit faire plus qu’équilibrer les comptes municipaux pour un prochain mandat, il doit revoir en profondeur les règles du jeu, comme le réclame depuis 10 ans le monde municipal.
La fiscalité est une importante clé de l’action climatique. Bien paramétrée, elle fournit plus de revenus pour soutenir les actions nécessaires, en même temps qu’elle encourage les bonnes pratiques et dissuade les choix coûteux sur le plan environnemental.
Il faut donc saluer l’intention gouvernementale d’accompagner les villes dans la mise en place de l’écofiscalité. Adopté en juin, le plan de mise en œuvre de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire prévoit d’« Accroître la flexibilité du régime fiscal municipal afin de favoriser l’aménagement durable du territoire » (mesure 3.4). En effet, il faut mettre la fiscalité au service du développement urbain durable. Le mal-développement, lui, ne doit plus être aussi payant.
Cependant, et malgré le leadership croissant de plusieurs élues et élus locaux, je reste convaincu que pour que l’écofiscalité fonctionne, il faudra que l’État en prenne en partie la responsabilité politique – tout en s’appuyant sur la nouvelle concertation municipale qui se développe. Le gouvernement et les municipalités doivent s’entendre sur de nouvelles sources de revenus qui vont s’appliquer partout. Sinon, on va voir la compétition intermunicipale et le mal-développement revenir par la porte d’en arrière.
Une chose sur laquelle il faut s’entendre: pour faire face à la triple crise climatique, de l’habitation et de la mobilité, les villes ont besoin de plus d’argent.
Il faut de l’argent pour s’adapter à un nouveau climat, plus chaud et plus instable. Évidemment, les égouts neufs ne pourront pas passer à 100% dans la facture climatique, mais le surdimensionnement a un coût. Dans notre société où le transport compte pour près de la moitié de notre bilan carbone (et près du tiers du bilan énergétique), le manque d’argent doit cesser d’être un frein au développement du transport en commun. S’attaquer à la crise de l’habitation et protéger les plus vulnérables en soutenant la construction de logements à but non lucratif et d’écoquartiers aux bons endroits, c’est aussi une solution bénéfique pour le climat.
Conjuguer qualité de vie, lutte contre les changements climatiques et transition écologique et sociale, c’est possible. C’est même indispensable. Et ça passe en partie par un pacte fiscal responsable. Pour ça, il faut que l’État et les municipalités se voient comme des partenaires en action, et non plus en négociation.
SAVARD, Christian (2023). Ambition climatique et pacte fiscal municipal - Le temps de la responsabilité, Vivre en Ville. Vivreenville.org.
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Auteur Christian Savard
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Date de publication 20 septembre 2023Date de mise à jour 20 septembre 2023
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