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Iniquités, méritocratie et propriété résidentielle

Dans une société où l’on valorise la propriété immobilière, on associe aussi l’accession à la propriété à la méritocratie. Dans leur étude, Home Ownership, House Prices, and Belief in Meritocracy: Evidence from South Korea and 34 Countries, des chercheurs coréens démontrent que notre perception des inégalités et des raisons de la réussite des individus est corrélé au fait que nous sommes propriétaires ou non. 

Source: Vivre en Ville

Dans le webinaire de Vivre en Ville, Prendre la mesure des iniquités territoriales pour repenser l'aménagement, la chercheuse en psychologie de l’UQAM, Janie Houle, a rappelé que les inégalités vont de pair avec l’idée que la méritocratie fonctionne au sein de la société. En effet,  plus une société est inégalitaire, plus on justifie la réussite des élites par leurs efforts, leurs aptitudes, leur travail, leurs compétences, etc. À l’inverse, elle ajoute que la société perçoit les individus qui se trouvent en bas de l’échelle socio-économique comme beaucoup moins méritants :  «Ceux qui se retrouvent au fond de la cale, c’est de leur faute aussi, ils n’ont pas travaillé assez fort, ils sont moins méritants que nous et ils sont plus paresseux». Selon moi, cette perception fait clairement échos à la perception que la société a des locataires.

L’accession à la propriété le symbole d’une réussite sociale?

Quand l’accession à la propriété est le symbole d’une réussite sociale, comment inconsciemment ne pas associer la location avec une faillite personnelle? 

Dernier exemple en date: la sortie «qu’ils investissent en immobilier» de la ministre Duranceau à l’encontre des locataires qui utilisent les cessions de bail pour contrôler les loyers. Cette phrase n’était pas «une description juridique et économique des choses», comme la ministre l’a justifiée, mais elle est le symbole que le droit de se loger à un coût raisonnable se mérite. Et, il se mérite par un moyen bien précis: la possession immobilière.

Ce n’est pas pour rien qu’être locataire est considéré comme un facteur de vulnérabilité selon la Direction régionale de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de Montréal. Au-delà des sacrifices et de la volonté personnelle, accéder à la propriété est souvent le bénéfice de facteurs structurels comme, par exemple, un contexte familial favorable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les enfants adultes détenteurs de multiples propriétés étaient près de trois fois plus susceptibles d’être propriétaires en 2021 que ceux dont les parents ne possédaient pas de propriété (Mirdamadi et Khalid, 2023). L’iniquité intergénérationnelle en immobilier est encore plus pénalisante pour certains groupes racisés (Stick, Hou et Schimmele, 2023). 

Une distorsion cognitive qui influence notre tolérance aux iniquités

Faire ce raccourci - entre possession immobilière et mérite -  élimine la complexité des mobilités résidentielles (revenus, offres de logement, préférences en matière de mode de vie, déterminants culturels, contraintes d'emprunt, etc.). Pire encore, le danger de cette distorsion cognitive est qu’elle influence notre tolérance aux iniquités et notre volonté de les combattre grâce à des mécanismes de redistribution. 

Ce n’est pas Vivre en Ville qui le dit, mais des chercheurs de l'Université de Corée. Ces derniers, dans leur étude de 2023 intitulée Home Ownership, House Prices, and Belief in Meritocracy: Evidence from South Korea and 34 Countries, démontrent que selon notre statut de propriétaire immobilier (ou non), notre perception des facteurs de réussite sociale et des iniquités diverge. Les propriétaires ont tendance à justifier leur position privilégiée sur le marché comme un signe d’une distribution équitable des revenus dans la société. Les propriétaires ont aussi plus de résistance psychologique envers les politiques promouvant des mécanismes de redistribution des richesses. Pourquoi devrais-je être taxé sur la valeur de mes actifs, quand l’achat de ma maison est la récompense de mes efforts?

Les chercheurs ajoutent que la croyance en la méritocratie est renforcée par l’augmentation des prix sur le marché immobilier. On s’attend alors que plus les prix vont augmenter au Québec, plus le statut de locataire apparaîtra comme le signal d’un manque de volonté personnelle à devenir propriétaire.

Désacraliser la propriété immobilière pour lutter contre les iniquités

Si on choisit collectivement de lutter contre les iniquités territoriales et d’agir pour le droit au logement, il semble inévitable qu’on doive désacraliser la propriété immobilière. En effet, pour être rentable, la possession immobilière doit obligatoirement reposer sur des inégalités. La valeur d’un bien repose sur sa rareté et sur le fait qu’elle soit distribuée de manière inéquitable sur le territoire. Il est alors illusoire de penser que le logement puisse, à la fois, être rentable et accessible pour tous et toutes. 

En plus de mettre des individus sur le côté, le mythe de la propriété individuelle diminue notre croyance collective dans les outils de redistribution des richesses. Or, la préservation de l’État-providence et la mise en place d’un filet social sont une base indispensable pour une société plus équitable. 

Non, les locataires ne sont pas moins méritants. Oui, l’accession à la propriété est un autre exemple où les individus subissent des discriminations. Se questionner sur notre rapport à la propriété immobilière, c’est aussi faire un pas contre l'aggravation des inégalités économiques et politiques. 


Références
COTTE, Gabriel (2022). La rentabilité ou l'abordabilité: le logement ne peut pas offrir les deux, Vivre en Ville. Carrefour.vivreenville.org, [En ligne].
HAN Seungwoo et Hyeok Yong KWON (2023). «Home ownership, house prices, and belief in meritocracy: evidence from South Korea and 34 countries», Political studies, SageJournals, [En ligne].
LABERGE, Thomas (2023). «La ministre Duranceau se dit «désolée» pour ses propos sur les cessions de bail», Le devoir, publié le 15 juin 2023, [En ligne]. 
MIRDAMADI, Michael et Aisha KHALID (2023). «Les parents et les enfants dans le marché canadien de l'habitation: la possession d'une propriété par les parents augmente-t-elle la probabilité que leurs enfants adultes soient aussi propriétaires?», Statistiques sur le logement au Canada, Statistiques Canada, [En ligne].
STICK Max, Feng HOU et Christoph SCHIMMELE (2023). «Les trajectoires en matière de logement des groupes racisés nés au Canada», Rapports économiques et sociaux, Statistiques Canada, [En ligne]. 

VIVRE EN VILLE (2023). Prendre la mesure des iniquités territoriales pour repenser l'aménagement [Vidéo]. Carrefour.vivreenville.org, [En ligne]. 
Notice bibliographique recommandée :

DERONNE, Laura (2024). Iniquités, méritocratie et propriété résidentielle, Vivre en Ville. Carrefour.vivreenville.org.

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