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Protéger l’abordabilité des logements, un enjeu féministe

8 mars

Si elle avait eu le choix, Sarah1 n’aurait pas quitté sa petite maison du bord du fleuve à 5 minutes du centre-ville de Rimouski. Aller s’asseoir sur la plage du Rocher-Blanc pour voir les couchers de soleil s’endormir sur l’horizon faisait partie des grands bonheurs de son quotidien.

Mais quand elle rentrait chez elle, ce n’était pas seulement son espace à elle, c’était aussi chez lui. 

Et lui n’aimait pas quand elle sortait trop longtemps, même pour dire au revoir au soleil. 

En fait, il n’aimait pas qu’elle fasse quoi que ce soit qu’il ne contrôlait pas. 

Elle n’avait pas le droit d’être sans lui.

Mère d’un enfant de 9 ans, Sarah1 dort dans une maison pour femmes victimes de violence conjugale dans le Bas-Saint-Laurent. Déterminée à s’offrir un nouveau départ, elle est à la recherche d’un 3 ½ à louer avec 2 chambres fermées, dans la limite de son budget. Le but d’un hébergement de transition étant de laisser la chance à toutes les femmes de la région qui en ont besoin de pouvoir profiter d’un espace où elles se sentent en sécurité, les résidentes ont 3 mois pour se trouver un autre logement. 

Le problème, c’est qu’il n’y en a pas, à l’heure actuelle, d’autres logements. 

La crise de l'habitation et la violence conjugale s'entrecroisent dans une matrice de vulnérabilité, où les personnes les plus désavantagées par le déséquilibre actuel du marché locatif sont celles que notre communauté a déjà échoué à protéger. L'enjeu dépasse la simple mise à disposition d'un toit ; il s'agit d'assurer un environnement sûr, accueillant et stabilisateur, qui soit véritablement propice à la guérison et à la réappropriation de soi. Le fait d’avoir plusieurs logements disponibles un peu partout au Québec permet d’aider des femmes comme Sarah à pouvoir réagir plus facilement à un changement d’habitation forcé. 

Mais dans le portrait actuel des choses, ses options sont limitées. Sarah n’a pas le temps d’attendre que les nouveaux immeubles en bordure du Saint-Laurent finissent d’être construits. De toute façon, aucun loyer demandé pour les logements là-dedans ne rentre dans son budget. Son ancien logement serait encore abordable pour elle, mais le plus grand risque à sa sécurité et à celle de son fils, son ancien mari, vit encore à l’intérieur. Ce n’est pas une option. 

Une autre femme à la maison d’hébergement lui mentionne que la Société d’habitation du Québec a un programme qui offre de payer la différence du prix d’un loyer que des femmes dans la même situation qu’elle ne peuvent normalement pas se permettre. Même si ça permet un instant de répit financier, Sarah aimerait pouvoir trouver un endroit où elle peut s’installer pour rebâtir sa vie avec son fils, sans être dépendante d’un chèque envoyé par la poste chaque mois. 

Dans un contexte où en 2023, un logement à louer est de 50% plus cher que le loyer moyen2, ce rêve semble bien loin de la réalité. 

Aussi loin d'être une solution, le programme de supplément de loyer ne fait que mitiger les conséquences de deux problèmes : la violence conjugale et la déconnexion entre les revenus et les prix des loyers sur le marché… Sans en aborder les causes ; c’est au mieux un band-aid mis dans une ambulance en direction de l’hôpital pour des points de suture. 

La dynamique de marché actuelle, où le prix des logements disponibles les rend inabordables pour la majeure partie de la population, sacrifie le bien-être de celles qui n’ont pas le choix de partir. Le coût prohibitif des logements disponibles dans le marché privé, où l’objectif premier est de maximiser les profits, juxtaposé à une offre de HLM limitée et engorgée par des listes d'attente interminables, crée un fossé entre les besoins urgents des femmes fuyant la violence et les solutions à leur disposition. Cette dissonance entre le besoin et l'offre peint un tableau où l'espoir de sécurité et de stabilité s'érode au gré des exigences financières insurmontables.

Au Québec, la loi est censée favoriser un contexte d'abordabilité qui réduit les risques que Sarah se retrouve sans domicile fixe. Le Code civil du Québec prévoit que les prix des loyers sont censés évoluer graduellement dans le temps, afin qu’ils puissent suivre l’évolution du revenu moyen, de l’inflation, etc. Considérant que selon les plus récentes données de la SCHL, l’augmentation du prix des loyers qui ont changé de locataires est trois fois plus élevée que celle des logements qui n’ont pas changé d’occupants3, l’échec de l’application de ce principe en pratique ne pourrait être plus évident. Cela s'explique par l’inefficacité du mécanisme dont s’est doté le Québec pour encadrer l’évolution du prix des loyers dans le temps. 

Lorsque Sarah trouvera un logement disponible (ce qui est loin d’être garanti), son nouveau propriétaire devra l’informer du prix payé par le locataire avant elle. L’objectif derrière cette divulgation est qu’elle puisse s’assurer que le prix a augmenté de manière raisonnable dans le temps. Par contre, Sarah n’a aucune manière de vérifier si l’information qui lui est donnée par le propriétaire est vraie, à part si elle connaît personnellement l’ancien locataire. Considérant que la personne qui lui fournit le montant du loyer, son propriétaire, est celle qui a le plus à gagner à donner un montant supérieur au montant réel, pourquoi est-ce qu’il ne le ferait pas? Il n’y a aucune entité au Québec, ni le ministère de l'Habitation, ni Revenu Québec, ni l’Autorité des marchés financiers, qui est chargée de vérifier que le montant donné par le propriétaire est exact. Dans ce contexte, les chances qu’il soit puni pour avoir menti dépendent de la mobilisation individuelle de sa nouvelle locataire. Considérant que Sarah, survivante de violence conjugale, concentre son énergie à retrouver un semblant de stabilité après des années de peur omniprésente, la fameuse « épée de Damoclès » de l’amende salée n’est pas très menaçante. 

L'escalade non réglementée des loyers, particulièrement à chaque transition de locataire, érige des barrières supplémentaires, transformant la stabilisation post-fuite en un objectif souvent inatteignable pour les femmes qui réussissent à s’échapper de l’emprise de la violence conjugale. Dans le cas de Sarah, la rareté des logements disponibles en région ajoute à la complexité d’atteindre l’objectif d’être autonome pour se loger. L’absence de mécanisme efficace de contrôle des loyers pour freiner cette inflation débridée et injuste réduit le nombre d’options pour permettre à des femmes comme Sarah de quitter un logement où leur santé et sécurité sont mises à risque. 

Face à l’aggravation de la crise de l'habitation au Québec et à ses répercussions disproportionnées sur les femmes fuyant la violence, il est impératif de mobiliser une réponse sociétale globale, qui embrasse à la fois les sphères politiques, économiques et communautaires, pour traiter cette crise avec la gravité et l'empathie qu'elle mérite. Il s'agit d'une lutte contre la violence faite aux femmes qui se trouve intrinsèquement liée à la crise de l’habitation, qui exige une action concertée pour en démanteler les fondements. La construction d'un avenir où la sécurité, le refuge et la sérénité ne soient plus des luxes inaccessibles, mais des droits fondamentaux assurés pour chaque femme, nécessite une solidarité inébranlable et une volonté indéfectible de s’attaquer aux facteurs contribuant aux iniquités sur le marché de l’habitation. Dans un contexte où le taux de vacance est anormalement bas au Québec, l’objectif de maintenir l’abordabilité des logements disponibles est intimement lié à la prévention de la violence conjugale. Par ce fait même, des stratégies de diversification de l’offre de logement, de réglementation de la spéculation immobilière et de promotion de la densification intelligente doivent faire partie intégrante de notre responsabilisation collective face aux phénomènes de violence faite aux femmes.

Pour garantir la santé et la sécurité de toutes les Québécoises, nous devons reconnaître l’importance des déterminants sociaux, comme l’accès au logement, dans les stratégies de prévention des violences faites aux femmes. 

Notes

1 Nom fictif pour préserver la confidentialité de la source d’inspiration de ce texte.

2 Enquête sur le coût des logements à louer | RCLALQ

3 Rapport sur le marché locatif 2023 | SCHL

Notice bibliographique recommandée :

B. LAMOUREUX, Alexandrine (2024). Protéger l’abordabilité des logements, un enjeu féministe, Vivre en Ville. Carrefour.vivreenville.org

  • Auteur Alexandrine B. Lamoureux
  • Date de publication 8 mars 2024
  • Thème associé

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